Peu à peu, le décor qui nous entoure se couvre de neige. Des flocons virevoltent, avant de se poser sur nos vêtements, immobiles depuis plusieurs minutes. Lorsque j'ose enfin relever la tête, j'aperçois Laure me fixer d'un regard vide, sans une once de chaleur ou de joie. Son visage, habituellement enthousiaste et jovial, est désormais terne et amer. Mes larmes s'arrêtent d'elles-mêmes, devant cette vision cauchemardesque. Je ne voulais pas lui retirer son sourire, son bonheur. Je ne voulais pas affecter sa vie. À chaque battement de mon cœur, j'ai l'impression qu'une épine s'enfonce de plus en plus profondément dans ma chair. Je voudrais lui crier que je suis désolée, désolée et navrée d'être malade. Je voudrais lui faire entendre mon intense culpabilité d'être condamnée à mort et d'être obligée de la laisser derrière moi. J'en veux tellement à ma santé, au destin, au monde entier et à moi-même. Pourquoi ? Pourquoi me faut-il encore souffrir alors que je suis si proche de la mort ? Et pourquoi ai-je été forcée de la blesser, elle ? Elle, si gentille et attentionnée, si drôle et parfaite. Qu'a-t-elle fait pour mériter cela ?
Je tente de reprendre peu à peu les rênes de mon esprit, la douleur me perforant toujours la poitrine. Détachant enfin ma main de la sienne, abandonnant cette chaleur qui m'était si précieuse, je commence à marcher dans la direction opposée. Tout est simplement fini. J'ai l'horrible impression d'être déjà morte, alors que mon décès n'a même pas encore eu lieu.
Je m'apprête à sortir du parc, sans même jeter un regard en arrière. C'est à ce moment précis que j'entends des pas rapides, s'enfonçant dans le sol neigeux et se rapprochant de moi. Sans avoir le temps de réagir, je sens une main se poser sur mon épaule et me retourner rapidement. Devant moi, Laure a posé ses mains sur mes bras et a plongé son regard humide dans le mien. Ses yeux sont rouges et des larmes continuent de s'en écouler. Mais son visage est ferme, déterminé. Elle détache ses mains de mes épaules un bref instant, avant de s'emparer de mes mains. Alors que je suis encore sous le choc d'un tel retournement de situation, elle serre mes doigts entre les siens et, rassemblant tout son courage, déclare :
- Je suis sincèrement désolée pour ta maladie, Jeanne... J'avais déjà remarqué que ta santé te posait des problèmes, mais jamais je n'aurais pu penser que c'était à ce point. Je te demande pardon de ne pas m'en être rendu compte... Mais s'il te plaît, ne me fuis pas à cause de ça. Bien sûr, j'en suis bouleversée et j'aimerais croire que tout ceci n'est qu'un mauvais rêve... Mais Jeanne... Je t'aime.
La volonté que je lisais auparavant dans ses iris est très vite remplacée par le chagrin et l'imploration, tandis que je parviens seulement à comprendre ses propos.
- Et qu'importe la maladie, rien ne peut changer ces sentiments. Alors je t'en supplie... Même si mes intentions te semblent peut-être floues et impossibles, je veux pouvoir t'aimer jusqu'au dernier moment... Jeanne, laisse-moi rester à tes côtés...
Mes capacités de réflexion se sont engourdies et ses mots ne me parviennent que quelques secondes plus tard. Lorsque je suis capable de les comprendre, je sens mes yeux s'humidifier rapidement. Il me faut moins d'une minute pour que des larmes en débordent et viennent inonder mon visage. Sans réfléchir, je me jette au cou de Laure et éclate en sanglots. Je sais que ceux-ci sont l'expression de mon bonheur, devenu si intense que je ne parviens plus à le traduire en mots. La joie semble déborder de partout, et de nulle part. Ses bras m'enlacent à nouveau et je la sens également pleurer contre moi. Je laisse s'échapper mes pleurs, peinant à respirer au travers de ceux-ci. Merci Laure, merci d'avoir accepté de nous supporter, ma maladie et moi. Merci d'être aussi courageuse et d'affronter cette situation qui ne peut que te blesser. Merci de ne pas avoir fui face à ma santé qui se détériore de jour en jour. Merci d'être restée avec une condamnée à mort. Merci de m'aimer.
Après de multiples tentatives, vouées à l'échec par les pleurs qui entrecoupent ma voix, je parviens à lui murmurer au creux de l'oreille :
- Je t'aime Laure. Merci...
Pour simple réponse, je sens ses bras m'enlacer un peu plus et j'en profite pour me lover dans ceux-ci. Les battements de mon cœur euphorique résonnent en harmonie avec les siens. Jamais je n'aurais pensé me sentir aussi bien, aussi heureuse et comblée. Bien que mes larmes continuent de couler, un sourire apaisé étire toujours mes joues encore rouges. Je sais que je n'ai plus à craindre l'avenir : Laure est avec moi désormais. Et j'ose espérer qu'elle ne m'abandonnera pas. Pas avant la fin. Je referme doucement mes mains sur son manteau, refusant à tout prix de la lâcher. Je veux que ce moment dure à jamais, même si le temps nous est compté.
Après plusieurs minutes écoulées, nous arrivons à mettre un terme à nos pleurs, essuyant chacune les larmes de l'autre. Nous rions mutuellement de nos paupières enflées par les sanglots, avant de quitter le parc.
Cependant, l'atmosphère est bien trop féerique pour se quitter maintenant. La neige continue sa longue descente jusqu'à nos pieds, sans jamais s'épuiser. Les nuages blancs ont laissé une place suffisante au soleil pour qu'il puisse darder quelques timides rayons. Tout comme les flocons, il descend lentement, indiquant la venue irrémédiable de la nuit. Profitant du paysage, nous décidons d'aller nous promener en ville.
À mesure que nous atteignons le quartier commerçant, la neige s'affaiblit peu à peu, délaissant ses ultimes flocons sur les toits des habitations et les enseignes des magasins. Les vitrines sont déjà illuminées de multiples guirlandes, à l'approche des fêtes de fin d'année. Nous nous contentons de voguer entre une confiserie, puis un cordonnier, avant de finalement s'arrêter devant un magasin de jouets artisanaux. Ils sont de plus en plus rares et, notre curiosité enfantine éveillée, nous n'hésitons pas une seconde à y entrer.
Autour de nous s'étale l'univers de l'enfance : des ours en peluche cousus main aux petits trains sculptés en bois, tout y est. Nous ne pouvons qu'être admiratives de ce dur labeur. Laure, fière de sa trouvaille, vient me montrer un cheval à bascule miniature, dont le balancement rappelle les battements d'une vieille horloge. Je souris, puis examine à mon tour le jouet. Les détails sont soignés et le bois semble résistant. Tandis que Laure est repartie dans le fond du magasin, je décide d'acheter ce petit cheval de bois, à son insu.
Après avoir fait une énième fois le tour des étagères de jouets, nous ressortons de la boutique. La nuit est déjà tombée, sans même que nous ne nous en soyons aperçues. La neige trône toujours sur les pavés de la ruelle, laissant échapper des craquements à chaque pas des passants. Les guirlandes électriques, accrochées d'un balcon à un autre, illuminent de toutes les couleurs la façade des habitations. Guidées par cette atmosphère qui nous semble irréelle, nous enlaçons doucement nos mains, les ombres de la nuit cachant ce geste aux regards malveillants.
Finalement, nous arrivons à la place principale, sur laquelle la fontaine, malgré le risque de gel, projette encore ses jets d'eau dans un écoulement continu. Les habitants sont rentrés chez eux et les visiteurs de passage sont allés se mettre à l'abri du froid. Ainsi me retrouvé-je seule avec Laure, à contempler les éclats de lumière renvoyés par toutes les décorations aux alentours. Elle se tourne lentement vers moi, sa main tremblant légèrement dans la mienne. Gênée, elle lutte contre ses balbutiements, avant de me demander :
- Dis Jeanne... Est-ce que l'on est.
Même si l'éclairage n'est pas au mieux, je peux tout de même voir ses joues devenir rouges et sa main qu'elle passe nerveusement dans ses cheveux courts. Je retiens avec difficulté un rire taquin, avant de me rapprocher d'elle. Sans aucun mot, je m'empare à nouveau de ses deux mains, les serrant dans les miennes, avant de me hisser sur la pointe des pieds et de l'embrasser. Ce baiser ne dure qu'un bref instant, mais il m'est amplement suffisant pour lui faire comprendre une simple approbation :
- On dirait bien.
Mes joues sont désormais aussi rouges que les siennes, étirées dans un sourire heureux et sincère. Laure reprend peu à peu ses esprits, laissant échapper un léger rire, avant de me prendre dans ses bras. Une nouvelle fois, nous nous abandonnons à cette étreinte mutuelle et réconfortante. Tandis que les lumières continuent de briller autour de nous, une larme coule lentement sur mon visage, encore crispé dans un sourire que seule Laure a su m'offrir.
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Memento Mori
RomanceNous souvenir que nous allons mourir. Jeanne ne pourrait l'oublier. Sa santé le lui interdit. Elle sait que nous sommes tous condamnés. Elle sait qu'il n'y a pas d'âge pour mourir. Elle ignore encore qu'il n'y en a pas un pour aimer. (Cette histoire...