Lorsque je rouvre les yeux, nous avons quitté la ville. Me suis-je assoupie ? Sans doute. Mais le spectacle qui s'étend devant mes yeux ne me donne pas l'occasion de réfléchir. Je constate être assise, sur une colline qui surplombe les habitations en contre-bas. De l'herbe verte, des fleurs à peine écloses et quelques arbustes égarés suffisent au décor qui m'entoure. Laure, à quelque pas de moi, se retourne dans ma direction et sourit :
- Je sais que tes parents te laissent rarement sortir ces derniers jours... Alors, je me suis dit que ça te plairait de voir ça.
Devant nos yeux s'étale un panorama de lumières urbaines : quelques fenêtres encore éclairées et des lampadaires illuminent la ville que nous venons de quitter. Mais en levant un peu plus haut les yeux, mon souffle se coupe et je perds l'usage des mots, découvrant un tout autre univers.
Le ciel conserve le passage du soleil, dans un dégradé bleuté, tandis que la lune fait timidement son apparition, à son opposé. Déjà dans le ciel nocturne, des étoiles sont apparues. Ni une ni deux étoiles, mais des centaines, des milliers d'astres étincelants, resplendissants de lumière. Leurs halos se joignent entre eux, créant des nimbes vaporeux qui semblent illuminer la voûte céleste. Les constellations sont bien présentes et brillent de toutes leurs forces, fières de pouvoir être observées. Pas un seul nuage ne vient troubler ce spectacle et les amas d'étoiles offrent des couleurs particulières à l'azur habituel de la nuit. Le ciel semble immense, infini. Tandis que je me perds dans sa contemplation, je crois me noyer dans cette couleur indigo, aux nuances si subtiles. Je ne parviens plus à cligner des yeux, tant ce décor m'invite à l'admirer, encore et encore. Je pourrais rester des heures, des jours, à relever chaque détail de ce tableau si spectaculaire.
Mon regard traverse une nouvelle fois le ciel nocturne, avant de s'arrêter sur Laure, qui s'est assise à mes côtés. Elle me regarde, une tendresse sans équivoque dans les yeux, et attend patiemment ma réaction. Dans cette prodigieuse atmosphère, elle me semble plus fantastique que jamais. L'ondulation de ses cheveux, la chaleur de son regard, l'étincelle de son sourire... Tout ce que mes yeux me donnent à voir me rappelle à quel point je l'aime. Je baisse les yeux vers sa main, avant de poser la mienne par-dessus. Puis, la voix tremblante de gratitude, je lui murmure :
- Laure... C'est magnifique...
Son sourire s'agrandit un peu plus. Elle semble réellement heureuse de pouvoir me montrer ce ciel. Je me rapproche un peu plus d'elle et viens poser ma joue contre son épaule. À cet instant, l'univers entier a disparu. Il n'y a plus qu'elle et moi. Plus rien n'a d'importance. Le paysage, sa présence à mes côtés, l'herbe que je sens sous mes doigts, son parfum dont je ne me lasse jamais... Et ce silence. Ce doux silence, propre à la nuit, qui n'apporte rien de plus que le souffle du vent. Ce silence si profond, si plat, et pourtant tellement agréable. Pour mieux l'apprécier, je ferme lentement mes paupières et me laisse guider par cette absence de sons. Puis, j'entrelace doucement mes doigts à ceux de Laure, lui chuchotant :
- Merci...
Ce à quoi elle répond, par un simple baiser déposé délicatement sur mon front. Je souris à ce contact, serrant un peu plus sa main dans la mienne. Nous savons toutes les deux que la fin est proche. Bien que le mois de mai ait débuté il y a peu, nous osons croire qu'il ne peut m'arriver malheur aussi tôt. Nous sommes conscientes que je vais mourir bientôt, mais nous préférons retarder l'inévitable et penser qu'il n'arrivera pas avant longtemps.
De nombreuses minutes plus tard, la fatigue commence à se faire sentir. Mais je lutte pour ne pas y succomber : l'atmosphère est trop idyllique pour que j'ose m'endormir. Laure, toujours à mes côtés, s'est allongée et a fermé les yeux. Pourtant, au soulèvement de sa poitrine, je sais qu'elle ne dort pas. Je viens lentement poser ma tête sur son ventre, sans la surprendre. Puis je reprends ma contemplation du ciel. À présent, seules les étoiles et la lune l'illuminent, les derniers rayons de soleil ayant disparu depuis longtemps. Les nuées d'astres forment des petits nuages de lumière, de-ci de-là. La nuit est si calme et d'un bleu si profond, que même les plus faibles étoiles peuvent être observées. Je laisse échapper un doux soupir de bonheur. Puis, sans même me tourner vers Laure, je l'interpelle discrètement :
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Memento Mori
RomanceNous souvenir que nous allons mourir. Jeanne ne pourrait l'oublier. Sa santé le lui interdit. Elle sait que nous sommes tous condamnés. Elle sait qu'il n'y a pas d'âge pour mourir. Elle ignore encore qu'il n'y en a pas un pour aimer. (Cette histoire...