Chapitre 7

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La fin de la journée approche : tandis que je me dirige vers la sortie du lycée, j'observe le ciel aux teintes orangées, bien qu'il ne soit pas encore dix-sept heures. L'heure tardive de l'hiver a ses avantages : je peux au moins admirer le crépuscule, sur le chemin du retour.

Une fois sortie de l'enceinte de l'établissement, je commence à marcher vers la maison, me retournant parfois pour guetter l'arrivée de Laure. Je soupire, me rappelant notre approximative dispute et songeant qu'elle ne veut peut-être plus me parler. Ma conscience s'en félicite, essayant vainement de me faire croire que tout est mieux ainsi, que je n'aurai plus à lui mentir ou à m'attacher davantage à elle. Malgré mes persuasions inutiles, je ne peux contenir la douleur que me renvoient mes sentiments : je veux être avec elle, je veux l'entendre rire, je veux lui parler. Je veux simplement rester à ses côtés. C'est désormais une réalité que je ne peux démentir ou réfuter : je l'aime.

- Jeanne, attends !

Je me retourne vivement, apercevant Laure courir vers moi. Mon cœur s'emballe joyeusement à sa vue, débordant d'euphorie. Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, je me fais violence pour ne pas me jeter dans ses bras. J'ai l'impression de ne pas l'avoir vue pendant des mois. Après avoir repris son souffle, elle me tend la main et demande :

- Laisse-moi porter ton sac, s'il-te-plaît.

- Comment..?

Sans même me laisser le temps de répondre, Laure s'en est déjà emparée et me répond, un sourire joueur aux lèvres :

- Trop lente !

Elle se met à rire aux éclats, sans raison valable, avant de commencer à s'éloigner. Me dépêchant de la rejoindre, aussi vite que je le peux, je la harcèle pour qu'elle me rende mon sac de cours. Notre dispute est déjà oubliée. Me tirant la langue, son sourire malicieux toujours gravé sur le visage, elle esquive mes désapprobations et m'annonce :

- Ça te dit d'aller manger une crêpe ? Bien sûr, c'est moi qui paie.

Je conserve un air ahuri pendant quelques secondes, avant d'approuver son idée avec entrain. Sur le chemin qui mène à la crêperie du quartier, je l'incendie de remarques, afin qu'elle me laisse payer ma part, et qu'elle me rende aussi mon sac. Nous parlons de tout et de rien, nous rions sans retenue et nous avons la commune impression, d'être seules au monde. Sous ce ciel d'automne, dans lequel s'entassent quelques maigres nuages, les arbres délaissent leurs dernières feuilles, qui voltigent autour de nous avant de rejoindre leurs sœurs, sur le bord de la route.

À l'identique d'enfants de bas-âge, nous nous amusons à nous ruer dans les tas de végétation morte que les feuilles forment, les faisant voler et leur redonnant vie, un court instant. Parfois, je suis obligée de m'arrêter et de m'appuyer contre un arbre, trop essoufflée pour continuer d'avancer : mes jambes me semblent lourdes et mes poumons me brûlent, mais je ne peux retirer ce sourire de mon visage, tant je suis heureuse de vivre pleinement cet instant. À ces moments, Laure reste toujours à côté de moi, surveillant l'amélioration de mon souffle. Et lorsque je me sens mieux, nous repartons, plus euphoriques qu'auparavant.

Nous arrivons finalement à notre destination : à peine entrées dans le restaurant, une douce odeur de sucre et de crêpes nous assaille, rappelant à nos estomacs qu'ils sont tristement vides. Les tables éparpillées dans la salle de réception sont toutes en bois, de même que les chaises, sur lesquelles sont disposés des coussins aux coloris simples. Seul un parquet uniforme constitue le sol de la pièce, et quelques tableaux représentant des paysages divers ornent les murs. L'atmosphère y est chaleureuse, conviviale et sereine.

Après avoir admiré les détails de la décoration, une femme d'environ une quarantaine d'années vient nous trouver, nous invitant à nous asseoir : Laure, sans prévenir, me prend la main et me guide vers sa table préférée. Celle-ci est contre une fenêtre, un peu à l'écart des autres, et nous pouvons admirer la vue qu'elle nous offre. Une fois installées, nous commandons chacune nos crêpes et nos boissons, qui ne tardent pas à arriver. Malgré mes interdictions et mes reproches, Laure parvient tout de même à payer ma part : je soupçonne une manigance entre la propriétaire et elle, à mon insu. Après avoir fini notre copieux goûter, nous repartons, remerciant une nouvelle fois la bénéficiaire de l'endroit pour son accueil. Nous marchons côte à côte, pour rentrer chez nous, dans un calme apaisant et apprécié. Nous échangeons à peine quelques paroles, le silence prenant la relève à nos mots. J'aimerais que chaque jour se déroule ainsi, dans l'oubli de ma maladie et l'insouciance. Sans prêter attention aux causes, ni aux conséquences.

Mon regard se porte sur Laure, semblant fixer le lointain, ses yeux brillant d'une joie explicite. Lorsqu'elle se rend compte que je la regarde, elle tourne la tête vers moi et m'offre un sourire des plus radieux. Je sens mes joues s'empourprer et me dépêche de détourner les yeux. Avant que je puisse calmer les battements excités de mon cœur, nous atteignons la bifurcation de nos chemins respectifs. Un simple silence, plus pesant cette fois-ci, s'installe entre nous deux. Après de longues secondes, Laure se tourne vers moi et déclare :

-En tous cas, merci pour cette petite sortie, c'était vraiment agréable ! J'espère que.. On pourra faire ça plus souvent.

Je ne saurais dire si c'est dû au froid ou non, mais ses joues sont soudainement devenues plus rouges que d'ordinaire. Comme mal à l'aise, elle s'efforce de tirer sur les manches de son pull, son regard fuyant le mien. La voir ainsi me fait rougir à mon tour : cette situation semble être des plus niaises et illogiques, mais je ne peux m'empêcher de l'apprécier. Comme réponse, je me contente de m'approcher d'elle et, en me mettant sur la pointe des pieds, je parviens à l'enlacer. Mon cœur semble sur le point d'exploser et d'incendier tout le reste de mon organisme, tandis que ma raison me traite de tous les noms. La sentir dans mes bras me procure un bien fou, phénoménal et indescriptible. Je voudrais ne jamais la lâcher. Je sais que je ne devrais pas être aussi heureuse d'être avec elle. Et pourtant, j'ai l'impression que même la maladie ne pourrait arrêter ce sentiment. D'une voix timide que je ne reconnais pas, je lui murmure :

- Merci...

Puis je délaisse mon étreinte, lui souriant joyeusement. Lorsque j'aperçois son visage, devenu écarlate, je peine à retenir un rire moqueur et taquin. Après avoir repris ses esprits, Laure balbutie :

- Je... Euh.. De rien !

Finalement, nous nous en allons, chacune de notre côté, le cœur empli d'un sentiment que nous venons tout juste d'apprivoiser.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant