Je sors enfin de la clinique. Je sors enfin de cet enfer. Dehors, une vague de froid me gifle brusquement. Je m'emmitoufle le plus possible dans mon manteau et enfouis mes joues dans mon écharpe. Puis je commence à marcher. Je mets simplement un pied devant l'autre et j'avance. Je ne sais où, mais j'avance, lentement. Le regard perdu dans le vide, j'erre dans des rues au hasard.
Finalement je m'arrête sur un banc public. Le contact avec le métal froid me fait frissonner. Je regarde toujours devant moi, perdue dans mes pensées. Seulement quatre mois. Février, mars, avril, mai... Je ne connaîtrais donc plus jamais la chaleur de l'été ? Le souffle du vent marin ? L'odeur du goudron brûlant sous nos pieds ? La liberté de marcher dans le sable ? Ne vivrai-je donc plus jamais tout cela ?
Je me passe les mains sur le visage, remarquant que celles-ci ont pris une tournure violette. Une conséquence du froid, sûrement. Je les plonge dans mes poches. Comment vais-je annoncer cette nouvelle à mes parents ? Ils ont mis du temps à accepter cette fatalité. Quelle sera leur réaction, lorsque je leur apprendrai qu'elle n'est que plus proche encore ? Le médecin les a peut-être déjà mis au courant. J'aimerais que ce soit le cas, pour éviter d'avoir à leur dire. D'avoir à regarder leurs visages se décomposer. De contempler ma mère fondre en larmes. Et mon père, tétanisé une seconde fois. Mais déjà une fois de trop.
Je quitte le banc et reprends mon errance dans le quartier. Je sais parfaitement que mes parents ne sont pas les seuls qui doivent être mis au courant. Je serre les dents, à l'idée de ce que je m'apprête à faire. Je suis l'itinéraire que je connais par cœur désormais, arrivant finalement devant un ensemble de pavillons. Une fois le sien repéré, je m'arrête. Faut-il vraiment lui annoncer ? Je reprochais silencieusement au médecin de m'avoir dit la vérité sur ma santé. J'aurais préféré qu'il la garde pour lui, sans jamais la connaître. N'est-ce pas la même chose pour elle ? Ne serait-il pas préférable qu'elle ignore ce brusque changement ? Après tout, ce n'est qu'un mois.
Je mets un terme à ces pensées néfastes : ce n'est pas qu'un mois. C'était un de nos mois. Un mois que l'on devait passer ensemble, comme les quatre autres. Comme tous les autres auparavant. Ce mois perdu, c'est un mois en moins avec elle. Et c'est pourquoi il me semblait si précieux. Elle a le droit de savoir. Elle doit savoir. Je sais qu'elle en sera meurtrie, comme mes parents. Je sais qu'elle tenait également à ce mois. Mais garder un tel secret, c'est impossible. Elle se rendra compte de mon état. Elle comprendra que je ne peux tenir jusqu'en juin. Et lorsqu'elle apprendra que je le lui ai caché... Si elle ne veut plus jamais me voir ? Partirais-je sans son image à mes côtés ? Non. Jamais. Cela n'arrivera pas. Puisque maintenant, tout de suite, je vais lui dire.
J'inspire l'air froid de l'extérieur, avant d'appuyer sur la sonnette. Les quelques secondes qu'elle met à venir ouvrir la porte me paraissent des heures et mon appréhension augmente considérablement. Constatant que ce n'est personne d'autre que moi, elle s'élance à ma rencontre, sans même se couvrir. Son visage radieux et son aura joyeuse me rappellent tragiquement qu'ils vont bientôt être anéantis. Par ma faute. Malgré tout, je conserve mon courage et me lance :
- Laure, je dois...
- Il fait trop froid pour parler dehors. Aller, entre !
Sa main agrippant la mienne, je suis bien obligée de la suivre. Une fois à l'intérieur, je découvre à nouveau l'atmosphère conviviale et chaleureuse de son séjour. Je pourrais me perdre dans cette ambiance décontractée, dans laquelle des souvenirs heureux de vie de famille sont gravés à jamais. Mais il ne faut pas que je perde de vue mon objectif. Quant à Laure, elle s'est dirigée vers la cuisine, toujours aussi euphorique à l'idée de passer un moment en ma compagnie.
- Je t'en prie, fais comme chez toi, Jeanne. Exceptionnellement, mes parents ne sont pas là aujourd'hui. C'est dommage, j'aurais voulu te les présenter ! Ah désolée, je parle trop... Tu veux quelque chose à boire ?
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Memento Mori
Roman d'amourNous souvenir que nous allons mourir. Jeanne ne pourrait l'oublier. Sa santé le lui interdit. Elle sait que nous sommes tous condamnés. Elle sait qu'il n'y a pas d'âge pour mourir. Elle ignore encore qu'il n'y en a pas un pour aimer. (Cette histoire...