Chapitre 9

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Pendant quelques instants, je me perds dans ce geste tendre, avant que la lucidité ne me rattrape : que suis-je donc en train de faire ? Brusquement, je m'écarte de Laure et retire ma main de la sienne. Elle me fixe d'un air désemparé, sans vraiment comprendre. La panique me gagne peu à peu et la seule solution que je juge efficace demeure la fuite. Aussitôt, je me lève, m'emparant de mes affaires scolaires déjà rangées dans mon sac, avant de courir jusqu'à l'entrée. J'entends Laure dévaler les escaliers après moi, me criant d'attendre et de ne pas partir, tandis que j'attrape mon manteau et que je disparais dehors.

Ma conscience me hurle de courir, de partir loin, de fuir ce qu'il vient de se passer. Mon corps ne semble pas de cet avis, déjà épuisé par ma précédente crise, mais je ne l'écoute pas. Il me faut mettre le plus de distance entre Laure et moi. Tandis que des larmes glissent sur mes joues avant d'être séchées par le vent, je songe au fait que j'aurais dû le faire bien avant.

Sans savoir où je cours, je traverse des rues, emprunte des avenues et par un quelconque miracle, je me retrouve dans le parc abandonné. À bout de forces, les jambes affaiblies et le souffle saccadé, je me laisse tomber dans l'herbe morte, au pied du saule pleureur. Plusieurs minutes passent, pendant lesquelles j'essaie désespérément de reprendre une respiration normale. Mes yeux déversent toujours quelques gouttes salées, que je n'ai même plus le courage d'essuyer. Fixant le ciel nuageux et neutre, je laisse enfin ma douleur s'exprimer : comment ai-je pu faire ceci ? Comment ai-je pu l'embrasser ? Alors que je me répétais qu'il ne fallait pas m'attacher à quelqu'un ? Et Laure ? Que doit-elle penser de moi ? Je me suis enfuie comme la pire des lâches. Jamais je ne pourrais lui faire face à nouveau, lui parler comme avant. J'ai la nette impression d'avoir tout perdu. Mais elle ne s'est pas désistée de ce baiser, alors... Peut-être que... ? Je m'attrape le crâne douloureusement, essayant tant bien que mal de faire cesser ces espoirs, qui me blessent lorsque la réalité les écrase. Qquand bien même, si Laure m'aime aussi, que faire ? Devenir un couple ? Non, c'est impossible. À quoi bon s'investir dans une relation, alors que l'on en connaît déjà la fin ?

Peu importe de quel angle je regarde le problème, la solution reste de m'éloigner d'elle. Je m'assois, le cœur lacéré par les précédents événements. J'inspire et expire calmement, essayant de retrouver une once de sérénité. Mais je ne peux que me focaliser sur Laure, sur son rire, sur sa personnalité, sur ses cheveux bruns, sur ses lèvres...

La douleur me sort de mes rêveries et augmente l'intensité de mes larmes. Pour la première fois, j'en viens à regretter cette maladie. En plus de raccourcir ma vie, elle m'empêche d'aimer librement. Tandis que je m'efforce d'essuyer mes larmes, je m'abandonne peu à peu au chagrin. Stupidement, lorsque je relève la tête, j'ai l'espoir d'apercevoir sa silhouette courir vers moi, avant qu'elle ne vienne me serrer dans ses bras, en me consolant. Mais je suis désespérément seule ici, avec pour seule compagnie, le vent froid et les branches nues des arbres.

Depuis plusieurs semaines, les mois d'automne se sont terminés et l'hiver s'est peu à peu installé. Les nuages gris sont devenus d'un blanc qui rappelle la neige et les feuilles mortes ont disparu, laissant place à des petits tas de branches inertes. Je n'ai pas reparlé à Laure depuis cet incident, bien décidée à m'émanciper d'elle, malgré les douleurs que cet éloignement provoque. Je ne l'attends plus à la sortie du lycée, je ne réponds ni à ses messages, ni à ses appels, et lorsque je la croise dans un couloir, je me contente de l'ignorer et d'accélérer le pas. À chacune de ces actions, je me répète les mêmes mots : "c'est pour son bien". Pourtant, j'ai l'impression que cela la blesse autant que moi. Mais c'est uniquement parce qu'elle ne sait pas ce qui m'attend, ce qui va m'arriver dans moins de sept mois. Et elle ne doit pas savoir. La fin des cours arrive enfin, et c'est sans entrain que je range mes affaires, avant de rentrer chez moi. Malgré la souffrance d'être loin de Laure, je n'ai plus aucun ressenti. Mes journées sont devenues si mornes que je n'ai même plus l'impression de vivre. Je me contente d'exister.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant