Chapitre 15 : Course poursuite

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Je me suis déjà bien enfoncée dans les bois quand ça m'arrive. Moi qui voulais de l'action, je suis servie ! J'entends d'abord un bruit de course effrénée dans les feuilles mortes en haut de la bute que je suis en train de longer. Le bruit se rapproche en s'amplifiant, couvrant celui des roues de mon vélo sur le tapis forestier.

Soudain, sans prévenir, un animal bondit au dessus de la bute et me renverse dans son élan. J'ai juste le temps d'apercevoir de la fourrure grise.

L'impact me fait tomber à côté de mon vélo et nous roulons ensemble sur le sol. Je me redresse, essoufflée. L'animal fait de même, un peu étourdi. C'est un coyote et à en juger par sa morphologie je dirais qu'il s'agit d'une femelle. Je n'ai pas peur des animaux d'ordinaire mais j'avoue que j'aimerais bien savoir ce qui lui a pris de me foncer dessus à celui là!

Pendant une seconde, la coyote me regarde comme si elle était surprise de me voir là. Puis elle ouvre la bouche pour lâcher une plainte modulée qui ressemble beaucoup à un signal d'alarme. Encore à quatre pattes dans les feuilles les cheveux ébouriffés (on m'a toujours dit qu'il valait mieux ne pas faire de geste brusque en présence d'un animal sauvage) je ressens de nouveau cette sensation désagréable dans ma nuque.

Tout se passe très vite ensuite.

D'autres bruits de course se rapprochent en provenance de derrière la bute. La coyote dresse ses oreilles en pointe pour regarder derrière moi et une flèche fuse entre nous pour venir se planter dans un tronc.

Ni une ni deux, je me remets sur mes jambes et crie à l'animal.

Moi: cours!

J'abandonne mon vélo dont un des pneus est crevé et je m'élance dans la forêt. La coyote ne se le fait pas dire deux fois. Elle va plus vite que moi. Je n'ai pas le temps de me retourner pour identifier nos poursuivants mais j'ai deviné qu'il ne s'agit pas de chasseurs ordinaires.

De nos jours on chasse avec des fusils, rarement des arcs. Et je reconnaîtrais cette flèche entre mille. L'une d'elle m'a traversé le corps il y a 48h.

En tout cas ils sont nombreux. J'ai beau talonner l'animal, nous sommes dans une pente et nos poursuivants bénéficient aussi de leur propre élan. J'entends des bruits de course à ma gauche, bientôt suivis des mêmes à ma droite. Comme il y a toujours quelqu'un derrière moi, j'en déduis qu'ils sont au moins trois.

Trois contre une. Génial.

Je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie et pourtant j'ai déjà terminé troisième au cross de mon collège à New-York! Quand on dit que l'adrénaline donne des ailes, ce n'est pas une blague! Bientôt je peux apercevoir l'orée de la forêt avec les premières constructions.

Je hurle. Il faut qu'on m'entende. Il faut qu'on m'aide.

Moi: Au secours! Au secours!

Mais je suis essoufflée et ma voix ne porte pas loin. Une autre flèche me frôle la cuisse et se fige dans le sol. Je saute par dessus pour l'éviter. La suivante manque mon oreille d'un cheveux à peine.

Cent mètres me séparent du premier bâtiment. J'aperçois vaguement son enseigne blanche et bleue, il s'agit d'un cabinet vétérinaire. La coyote et moi courrons toujours dans la même direction.

Plus que cinquante mètres.

Tout à coup, au moment même où je commence à croire que je suis sauvée, un glapissement strident me fait tourner la tête. La course de la femelle coyote s'achève brutalement dans un roulé boulé, deux flèches fichées dans son épaule droite.

Je ne sais pas pourquoi mais je ne peux pas m'empêcher de faire demi tour pour la rejoindre. Mince, je risque ma vie pour un animal non de Dieu! Qu'est ce que je compte faire? La porter sur mon dos?

Moi: Relève-toi la coyote! Allez relève-toi ou on meurt toutes les deux!

La patte en sang repliée contre son ventre, l'animal est couché sur le flanc la langue pendante, à bout de souffle. Moi aussi je suis essoufflée. Je les vois qui arrivent à toute vitesse sur nous. Ce sont des ados, deux garçons et une fille. L'un d'eux se laisse distancer par les autres le temps d'encocher une flèche à son arc et de me viser.

Je vais mourir ici et maintenant. Je le sais. Je n'ai plus le temps de me relever pour courir. Une main dans la fourrure poisseuse de l'animal couché devant moi, je regarde la mort m'arriver dessus avec une sérénité dont je ne me pensais pas capable.

C'est alors qu'un oiseau noir tombe en piqué du ciel droit sur la tête du tireur. Surpris, le garçon lâche un cri et tire sa flèche à l'aveuglette. La flèche se perd dans les taillis. Il en encoche une autre mais ce n'est plus un oiseau, ni deux, mais une dizaine qui lui foncent dessus dans des battements d'ailes frénétiques l'empêchant de viser.

Je n'ai pas le temps de me réjouir de ce coup du sort inespéré car les deux autres poursuivants bandent leurs arcs et me visent à leur tour.

Cette fois, ce ne sont pas des oiseaux qui me sauvent. La terre se met à trembler sous les doigts de ma main posée au sol. Une faille apparaît alors, fendant l'humus et la roche depuis ma main pour s'étendre comme la foudre dans le ciel jusqu'à mes agresseurs. Les tremblements qui s'en suivent les déstabilisent et l'un d'eux lâche son arc avec un hoquet de stupeur tandis que l'autre prend ses jambes à son cou sans demander son reste.

Celle dont l'arc est resté par terre me lance un regard haineux. Je la reconnais, c'est Tiffany, l'amie de Pierre qui nous avait rejoint à la bibliothèque hier.

Tiffany: Sorcière ! On n'en restera pas la!

Elle ramasse son arc et court aussitôt à la suite des deux autres pour disparaître dans les bois.

Je me retrouve seule à l'orée de la forêt avec la femelle coyote. J'aurais pensé qu'elle était plus mal en point que ça mais je constate que le sang s'est déjà arrêté de couler ce qui est étonnant. L'animal me regarde en couinant un peu et je sais qu'il aimerait bien que j'enlève les deux flèches dans son épaule mais j'ai lu quelque part que cela pourrait agraver la situation si je m'y prend mal.

Je pourrais la laisser là le temps d'aller chercher de l'aide au cabinet vétérinaire si il est ouvert mais j'hésite. Et si ils revenaient? Encore une fois, je suis en train de réfléchir comme si cet animal était une personne et je sais que c'est idiot mais je n'ai quand même pas pris tous ces risques jusqu'ici pour que ça se finisse comme ça!

Moi: Bon, je vais voir si je peux te soulever mais ça risque de faire mal alors s'il te plaît ne me mord pas, d'accord?

Je me penche. J'hésite de nouveau sur la manière de m'y prendre. Je n'aime pas trop l'idée d'approcher mon visage de sa gueule mais je n'ai pas le choix.

Moi (plus fermement): Je te préviens, si tu me mord ou que tu me griffe, je te laisse tomber direct et je m'en vais!

La coyote cligne des yeux. Je prends ça pour un oui. Je mets un peu de temps à passer mes bras sous son corps et je grogne sous l'effort au moment de la soulever. C'est que ça pèse son poids ces bêtes là! Mais finalement je réussi à me tenir debout avec elle dans les bras et je marche, non sans difficulté et en grimaçant, jusqu'à la porte du vétérinaire...

...qui s'ouvre aussitôt que j'arrive devant.

Moi: Scott?!

Mélissandre Heartwood T1 : L'apprentie de Deaton Où les histoires vivent. Découvrez maintenant