Chapitre 36 : Aux mains des Prédicateurs

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Je me réveille avec un mal de crâne qui défit l'entendement. Une multitude d'autres douleurs pulsent dans mon corps par intermittence comme autant de décharges électriques. J'ai perdu l'usage de mon bras gauche dont le moindre petit mouvement chasse de nouveau ma conscience papillonante.

La première chose dont je me rends compte c'est que je suis debout et solidement attachée à un pieu.

Voix inconnue: Ça y est elle se réveille!

Autre voix inconnue: Je vous avez dit qu'elle n'était pas morte. On peut pas crever une sorcière aussi facilement!

J'ai du mal à ouvrir les yeux tant la luminosité du sous bois m'agresse la rétine. Lorsque j'y arrive, je sens que mes paupières sont rendues sèches par une coulée chaude qui commence à peine à se craqueler signe que je dois avoir une blessure assez importante à la tête. Mes cheveux aussi sont poisseux.

Seigneur mais qu'est ce qui m'arrive et où je suis?

Je reconnais tout de suite le visage du garçon qui se tient devant moi en contre bas. La haine qui transparaît dans ses yeux déforme drastiquement la première impression qu'il m'avait laissé au lycée de Beacon Hills et qui était celle d'un étudiant sympathique et avenant. Il est habillé d'une toge sainte qui lui couvre les chaussures et je remarque qu'il porte un carquois à sa ceinture ainsi qu'une arbalète dont la sangle lui passe en travers du torse.

Moi: Pierre...

J'ai du mal à articuler. Je dois m'éclaircir la gorge avant de continuer bien que mon souffle soit laborieux.

Moi: Je crois que j'ai plusieurs côtes cassées...

Pierre: Ce sera bientôt le cadet de tes soucis, sorcière!

Je prends alors conscience que Pierre n'est pas seul, loin de là. En plus de Tiffany (la fille brune aux longs cheveux bouclés) et d'Edward (un garçon un peu rondouillard qui lui colle toujours aux basques), une dizaine d'autres personnes sont présentes autour de lui et portent le même accoutrement. Ils ont tous un tatouage semblable à celui que j'ai remarqué derrière l'oreille de Pierre, tatoué soit sur la nuque bien en évidence soit carrément sur le front. C'est le cas d'un adulte au crâne chauve et à l'air patibulaire qui se tient un peu en retrait. Je suis surprise de voir qu'il y a autant d'adolescents de mon âge que de personne ayant celui de mes parents et c'est avec une stupeur encore plus grande que je reconnais même la bibliothécaire du lycée qui me regarde d'un air malsain.

Pierre: Tu as le couteau de cérémonie Gadby?

Un homme massif s'avance vers Pierre et je reconnais immédiatement celui qui conduisait la voiture qui m'a percutée. Il met un genoux à terre et lui tend un couteau au manche aussi blanc que l'ivoire et à la lame recourbée à sa pointe.

Une goutte de sueur glacée me dégouline lentement le long du dos.

Moi: Pierre...qu'est ce que tu fais?

La bibliothécaire: Sorcière! Au bûcher!

D'autres répètent ses paroles, galvanisés. On dirait une secte.

Tout le groupe de Prédicateurs: Au bûcher! Au bûcher!

Prise d'un élan de panique qui prend le pas sur la douleur, je tire sur mes liens. Mon épaule démise ne réagit pas et je n'ai pas assez de force dans l'autre bras pour desserrer la corde qui m'entoure les poignets. En baissant les yeux, je réalise que si je vois tout le monde de haut depuis que je me suis réveillée c'est parce que je me trouve sur un tas de fagots et de paille sèche au sommet duquel se dresse le haut pieux de bois auquel je suis pieds et poings liés.

Edward: On t'avait prévenue Heartwood! Si tu restes à Beacon Hills on s'occupe de ton compte!

Un autre homme: Qu'on en finisse! Le simple fait qu'elle existe est une offense à notre Seigneur!

En désespoir de cause, j'essaye de me concentrer pour déclencher un pouvoir, n'importe lequel. Si c'est bien le moment de provoquer une catastrophe incontrôlable, c'est maintenant que ma vie est sérieusement menacée! Mais j'ai beau employer toutes les astuces que le docteur Deaton m'a apprises, rien ne se passe. Pierre semble remarquer mon manège car il détourne les yeux du poignard de cérémonie qu'on vient de lui offrir pour me gratifier d'un sourire narquois.

Pierre: Je sais ce que tu essayes de faire Heartwood mais ça ne marchera pas! Tu vois ce cercle gris tracé par terre tout autour de toi?

Il attend que je regarde dans la direction qu'il m'indique du menton. Je remarque effectivement une ligne continue de ce qui ressemble à du sable foncé tout autour du bûcher où je me trouve.

Pierre: Nous aussi on s'y connait en magie, en tout cas juste assez pour t'empêcher d'utiliser la tienne!

Moi: Pierre vous...tu n'es pas obligé de faire une chose pareille! Laisse-moi partir et je quitterai la ville si c'est ce que vous voulez!

Pierre: La ferme Heartwood! Épargne nous tes jérémiades!

Quelqu'un dans le groupe des Prédicateurs allume une torche et s'en sert pour enflammer celles tenues par les autres. Pierre baisse de nouveau son regard vers la lame qu'il tient posée à plat sur ses deux paumes tendues vers le ciel.

Pierre: Seigneur, donne nous la force de débarrasser ce monde d'un enfant de Satan...

Tous les Prédicateurs psalmodient ses paroles comme s'il s'agissait d'un rituel sacré. D'ailleurs cela doit être le cas. J'ai si peur que j'en ai la tête qui tourne et le cœur qui tambourine contre mes tempes. Je vais mourir. Je vais mourir maintenant et dans d'atroces souffrances. Qui mérite de finir comme ça? J'aurais mille fois préféré qu'on me tire une balle dans la tête!

Lorsqu'il a fini de prononcer les paroles rituelles, le silence se fait d'un coup tout autour de Pierre. Celui-ci lève de nouveau les yeux vers moi et entreprend d'escalader les fagots de bois. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, ses yeux brillent d'un éclat de folie qui me fige sur place.

Pierre: Puisse tu rejoindre les enfers, sorcière!

Sur ces mots, il enfonce profondément la lame du couteau dans mon flan gauche jusqu'à la garde avant de la retirer aussitôt d'un geste sec. Ma respiration est coupée. Pendant une seconde, j'ai l'impression de vivre l'instant d'un point de vue extérieur, au ralenti. La bouche grande ouverte dans l'espoir d'aspirer un mince filet d'air, je ne peux que regarder Pierre redescendre du bûcher un sourire satisfait aux lèvres.

Prédicateurs: A mort la sorcière! Au bûcher!

Moi: Non pas ça...

Puis, sous un ordre gestuel de Pierre, tous ceux qui possèdent des torches les jettent sur les fagots.









Mélissandre Heartwood T1 : L'apprentie de Deaton Où les histoires vivent. Découvrez maintenant