Chapitre 5

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 Le moment tant espéré finit par se matérialiser. 

Un matin brumeux, la silhouette de mon geôlier s'évanouit temporairement hors de la maison, laissant son téléphone portable abandonné par inadvertance sur la table de la cuisine. 

Mon cœur battait la chamade alors que je m'emparai de cette occasion en or. 

Sans gaspiller une seconde, mes doigts agiles composèrent le seul numéro gravé dans ma mémoire, celui de ma grand-mère maternelle, dont le contact ecrit sur un vieux bout de papier était soigneusement affiché sur le frigo depuis des lustres.

Un frisson d'anticipation traversa mon échine lorsque sa voix résonna dans le combiné. 

La surprise teinta d'abord ses paroles, des années s'étaient éclipsées dans un silence qui criait l'absence. 

Après un échange initial de nouvelles, je me déleste enfin du fardeau oppressant qui m'avait enserré. 

Chaque syllabe, chaque souffle, chaque larme contée de mon histoire s'échappèrent de moi telle une libération longtemps refoulée.

Sa perplexité et son effroi se lisaient dans le silence qui suivit mes révélations. 

Puis, avec une résilience caractéristique, elle reprit le contrôle. 

D'une voix empreinte de détermination, elle m'interrogea sur mon adresse, l'information cruciale qui ouvrirait la porte aux forces de l'ordre, m'arrachant ainsi aux griffes de mon cauchemar.

Ma mère, engluée dans un sommeil léthargique induit par les substances toxiques, gisait telle une ombre sur le canapé. 

Son inconscience de la réalité poignait le cœur. 

Pendant que mes doigts effaçaient le dernier numéro composé et replaçaient le téléphone à l'endroit exact où l'homme l'avait laissé, je m'éclipsai silencieusement, retrouvant le refuge de ma chambre. 

L'attente de mon salut était une torture exquise, mêlant espoir et appréhension.

La pendule égrenait les minutes avec une lenteur insoutenable, et soudain, le strident de la sonnette déchira le silence. 

Ma mère, chancelante, tenta péniblement de se redresser, entravée par son état second. 

Les vains efforts qu'elle déploya pour ouvrir la porte s'écrasèrent contre la réalité implacable : l'homme avait verrouillé l'issue, piège sournois de son emprise.

De l'extérieur, une voix rauque dicta l'ouverture. 

Figée devant la porte, ma mère demeurait captive de l'inertie, ses yeux ne saisissant pas la gravité de la situation. 

Témoin silencieux de ce drame, je donnai de la voix, un cri primal de détresse qui fendit l'air oppressant. 

Et alors, avec une force brute et salvatrice, la porte céda, projetée en avant par le coup de pied d'un gendarme déterminé, dissimulé derrière le battant.

La scène était surréaliste, ma mère s'effondrant en un tas de misère, moi me jetant dans les bras rassurants du gendarme, une étreinte protectrice. 

Les secours, surgissant comme des anges gardiens, prirent ma mère et moi en charge. 

Pendant que leur compassion enveloppait notre douleur, d'autres enquêteurs arpentaient méthodiquement la maison, traquant les preuves et les secrets qui avaient longtemps fui la lumière.

C'était la première fois de ma vie que je percevais ce sentiment enivrant : la sécurité. 

Les murs qui avaient été témoins de tant de souffrances allaient enfin renvoyer l'écho de la délivrance.


Enfance briséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant