Apprivoisable (Tome 1 - AVIFic - BxB)

CHAPITRE DIX-NEUF

PDV ALASTAIR.

Même si on essaie de passer outre l'événement, la tension reste superficielle et présente. Rex ne sait pas trop comment se comporter, et je suis maladroit dans mes propos. Cela fait trois jours qu'il est à la maison, et on s'en tient pour l'instant à quelques contacts physiques. Des mains liées, un petit câlin, des regards, des cuisses qui se touchent. Chacun appréhende l'étape supérieure. Depuis le départ, j'ai envie de l'embrasser, mais je crains la signification que cela pourrait avoir. Alors je continue à me prendre le chou.

« Les garçons ne pleurent pas », « il n'y a que les filles qui se prennent la tête », mais tout est faux. Les filles ont la pression, parce qu'on leur parle sans arrêt de devoir faire bonne figure, d'être toujours apprêtées. On leur rabâche de faire attention, qu'elles sont responsables lorsqu'elles sont victimes. Tout cette merde vient de la société, et elles ne sont pas les seules touchées. Je ne m'étais jamais rendu compte que la masculinité toxique nous touchait, ni même qu'elle existait. « Un mec, un vrai » comme on dit, ne se pose pas trente milliards de question. Il est fort, il supporte tout. Il n'a pas de stress, pas de pression, pas de larmes, pas de doutes. Il prend son pied, et il est adulé parce qu'il a couché avec plein de filles. « Il a des besoins » comme si ça excusait quoi que soit. Tout ça, sans compter le reste, c'est ce qu'on nous rabâche depuis toujours. Indirectement. La société est merdique, elle renvoie des images qui ne sont pas vraies.

Je m'en rends compte aujourd'hui, et j'ai aussi peur de devoir assumer ... ma différence. Je ne vois pas en quoi cela me rend si exceptionnel, en vérité. Ce n'est qu'une préférence différente, cela n'a rien de fou. Cela ne change pas qui je suis, mais ça change le regard qu'ont les autres sur moi. J'ai parlé à Rex du comportement de Cole. Il m'a félicité pour mon coming out, m'a demandé si j'en avais parlé avec mes parents, puis m'a dit que beaucoup de gens seraient comme ça, et que c'était pour ça qu'il m'avait demandé comment le Roi Alastair, du temps de notre jeu, réagissait face à la solitude. Une métaphore de ce que j'allais vivre si jamais je parlais. Je le vis effectivement plus mal que ce je pensais.

J'ai peur du rejet, que ma vie change pour quelque chose qui ... n'est pas grand-chose, en fait. Et je sais que si j'avais parlé du fait que je me sentais asexué, l'histoire aurait été la même. Parce que les gens ne comprennent pas ce qui est ancré dans leur tête depuis leur naissance. Ils ont peur de ceux qui ne sont pas la pseudo norme. C'est de là que viennent les répressions, les persécutions, et toutes ces merdes.

- A quoi tu penses ?

Rex me sort de mes pensées. Une fois de plus, nous sommes assis sur le perron, face au jardin. Il fait beau aujourd'hui, même si de vilains nuages noirs arrivent au loin.

- A la société. A la merde qu'elle nous bourre dans le crâne. Au fait que j'arrête pas de penser, de me questionner.

- Tout le monde fait ça. Les hommes politiques pour savoir quels mensonges nous servir ou quelle meilleure technique adopter. Les élèves, quand ils doivent aller voir un prof et tenter d'augmenter leur note. Les amis, quand ils se sont disputés et qu'ils vont devoir faire un pas en avant pour se réconcilier. Les couples, quand ils doivent aborder un problème. Les parents, qui ils doivent choisir un prénom, comprendre leurs enfants. Tout le monde, sans exception, se prend la tête. Et tout le monde veut faire genre que non. Mais on est tous humains. On a tous des forces, des faiblesses, et des ressemblances. Même si on veut montrer qu'on se fout du regard des autres, on sait parfaitement que c'est pas vrai, qu'il y a quelque chose qui reste, malgré tout, qui fait que. On veut faire genre qu'on est des bonhommes, et qu'on n'est pas blessé quand on vient de se prendre un râteau. Mais à la place, on joue aux gros cons en voulant transmettre notre souffrance à quelqu'un d'autre.