Jelly boy (trop mou...)

Chapitre 5 Kayla 2017

-Impossible ! C'est du sabotage ! Un crime !

Je me repasse inlassablement les scènes tournées et je n'arrive pas à y croire. Comment a-t-on laissé faire ça ? Mon héroïne, mon Emma Ginget, celle qui m'a tenue éveillée des nuits entières, celle qui brille par son intelligence et sa beauté est incarnée par cette abrutie au regard bovin ? Ce n'est pas possible. Je ne peux tout bonnement pas laisser faire ça. Je jette un regard furieux à Marina, mon éditrice et cette dernière se contente de hausser les épaules d'un style "ce n'est pas de ma faute !"

Putain...

C'est pourtant elle qui m'a certifié que le réalisateur, ce Cameron était le spécialiste de l'adaptation cinématographique de New romance et que mon film passerait carrément mieux à l'écran que "Cinquante nuances de Grey". Mais quand je vois le résultat, je me dis qu'on est bien loin du compte.

-C'est vrai que ce n'est pas terrible, fait Marina en ramenant ses lunettes sur son nez.

Je me lève en appuyant sur pause. Effectivement, je dirais même que c'est une grosse bouse.

J'arpente le bureau de mon éditrice de long en large. Que faire maintenant que mon œuvre est entre les mains de ces incapables ?

Comme s'il elle pouvait lire dans mes pensées, Marina se lève en essuyant ses lunettes ultra mode.

-Je vais avertir le réalisateur, ce Cameron, je vais lui dire qu'il peut tout refaire car ça ne va pas.

Cela n'atténue pas mon inquiétude, bien au contraire.

-Qui me dit que ce qui va être tourné ne sera pas pire ?

-Calme-toi. On a les pleins pouvoirs concernant le tournage. N'oublie pas qu'ils ont bataillé pour obtenir les droits, me rassure Marina en s'emparant de son portable.

Je la regarde faire. Je sais que mon éditrice est une femme de poigne et pas du genre à se laisser faire. C'est pourquoi je ne suis pas étonnée de l'entendre utiliser un ton plus qu'acerbe dans un anglais parfait :

-Allo ? Oui, ici Marina Petit, je souhaiterai parler à Mr Cameron...et faites vite !

Marina tapote nerveusement sa ballerine contre le parquet ce qui fait danser les boucles blondes échappées de son chignon piqué d'un crayon à papier.

-Cameron, c'est Marina, l'éditrice de Eva E. Steel...oui...non pas du tout...il vaudrait mieux, oui...c'est ce que nous voulons...je vous tiens au courant...c'est certain.

Là-dessus, elle raccroche et plonge son regard dans le mien.

-Alors ? C'est bon ? Ils vont refaire les prises ?

Marina ne dit toujours rien et se contente de retirer le crayon à papier qui tenait son reste de chignon, libérant une cascade de boucles soyeuses.

-Alors ?!

Ce qu'elle m'énerve lorsqu'elle fait ça !

-Alors, c'est ok, finit-elle par dire.

Si Marina continue à jouer les sphynx, je pense que je vais l'étrangler. Comme s'il elle se rendait compte que je suis au bord de l'explosion, elle devient finalement plus loquace.

-Ils vont tout refaire...et...

-Et ?

-Et ils viennent tourner ici, à Bordeaux. C'est toi qui aura le dernier mot après chaque prise.

Je ne sais pas pourquoi mais son annonce ne me fait pas spécialement plaisir. Je ne veux pas que mon livre ainsi que son adaptation cinématographique prennent toute la place dans ma vie. Et puis, qu'est-ce que j'y connais au fond en cinéma ?

-Tu n'es pas contente ?

Je me rassois en passant ma main dans mes cheveux trop longs.

-Ce n'est pas ça mais...Dan...Dan me reproche de n'être pas assez présente en ce moment...et...

Marina lève les yeux au ciel. Cela fait pas mal d'années qu'on se connaît et elle a toujours détesté Dan surtout que je suis restée longtemps dans l'ombre avant qu'il ne réapparaisse dans ma vie et que nous emménagions ensemble, il y a à peine trois mois. Je ne sais toujours pas pourquoi, mais malgré tout ce qu'il m'a fait, je ne parviens pas à mettre un terme définitif à cette relation biscornue.

Je ne sais pas si c'est parce que je l'aime ou si c'est parce que un jour j'en ai eu ras le bol d'enchaîner les mecs et les mijitos.

-Pfff, Dan va devoir s'y faire. Je te rappelle que tu as écrit un best-seller, il y a des sacrifices que tu ne peux pas éviter. Qu'est-ce que tu fous avec un mec pareil ?

Je hausse les épaules sans un mot. Je sais pourquoi lui et moi sommes encore dans cette relation toxique. Il me connaît mieux que quiconque, il me connaît tout simplement parce que nous sommes pareils. Orgueilleux, fiers, séducteurs. Mais aujourd'hui, cette complicité qui nous unissait jusqu'alors est en train de me bouffer. À 28 ans, je ne suis plus cette gamine qui se pâmait au moindre sourire du beau Dan. Aujourd'hui, j'ai perdu cette confiance en moi qui faisait tout le personnage de Kayla Harris. Aujourd'hui, je suis Eva E. Steel, auteure de New romance qui n'ose pas avouer à tous qui elle est, qui n'ose pas se défendre quand celui qui partage sa vie lui jette à la tête qu'elle n'écrit que des livres pour "femelles en manque de bite". À ce jour, personne ne sait réellement qui je suis même si la presse trépigne de le savoir. Même en couple avec Dan, il m'arrive très souvent de pleurer dans mon lit, regrettant une époque où j'arrivais à percevoir dans les yeux du garçon qui m'aimait cette lueur de fierté qui déserte actuellement le regard de mon compagnon officiel.

Je sursaute : Marine vient de poser doucement sa main sur la mienne.

-Kayla, c'est toi qui décide. On peut tout arrêter si cela te perturbe.

Comment en suis-je arrivée là ? Où est passé ma confiance en moi et mon charisme ?

Faiblement et réprimant un sanglot qui me brûle la gorge, je hoche négativement la tête. Pour une fois depuis bien longtemps, je ne vais pas être lâche. Je vais gérer ma vie.

-Non, soupiré-je. On continue.

Je saurais gérer Dan. Et si jamais je ne gère plus, je devrais peut-être là aussi, prendre une réelle décision, sans me retourner.

-Ok, ils arrivent d'ici quelques jours. On fera tout pour te faciliter la vie, ma belle.

Marina est plus qu'une éditrice, c'est une amie qui sait me foutre des coups de pied au derrière quand je le mérite. Seulement, j'ai toujours eu du mal à suivre ses conseils.

-On va changer de sujet ! fait- elle. Tu es sûre que tu ne veux pas connaître le reste de la distribution ?

Je soupire. Je ne veux pas être influencée par une belle gueule, je veux avoir la surprise comme l'auront les spectateurs du film.

-Non ! dis-je avec force. Mais si tu veux, tu peux me les décrire, ça me changera les idées. Vas-y dis- moi qui joue le rôle de Joshua.

Marina se met à glousser en roulant les yeux.

-Alors ma belle, quand tu vas le voir en vrai, je pense que tu vas zapper vite fait Dan. Ton Joshua est brun, grand, musclé et surtout...un regard...un regard envoûtant...

Je regarde peu la télé. Je préfère lire et écrire. D'ailleurs, cela fait des lustres que je n'ai pas mis les pieds dans un cinéma ce qui fait que sa description ne me dit rien.

Si ce n'est que l'allusion à ce regard captivant me fait repenser à celui d'un jeune homme timide et gauche à qui j'ai piétiné le cœur autrefois...