The Hobbit - La Corneille du Roi

Chapitre 4

Une horrible sensation parcourait son corps entier et son esprit-même. Il lui semblait que sa bouche était pâteuse, sa langue était molle, son corps absents. Ses paupières étaient comme collées l'une contre l'autre, les ouvrir s'apparentait à s'arracher la surface des yeux. Et enfin, ses pensées étaient dans la brume la plus complète.

Thorin tentait tant bien que mal de s'éveiller entièrement. Mais il n'avait aucun repère, aucun souvenir, aucune sensation autre que celle d'inertie. Quand il voulait se rappeler ne serait-ce que d'un petit détail, il n'y arrivait pas. Sa conscience tournait en rond, ou plus exactement, faisait du surplace. C'est en tout cas cette impression-là lorsque nos pensées sont dans la brume la plus complète.

Une image, enfin, se découpa dans les limbes de son esprit. Un masque. Accompagné d'une voix, douce et apaisante. « Vous êtes en sécurité avec moi, Thorin Écu-de-Chêne ».

Et soudainement, tout se débloqua. Ses yeux s'ouvrirent en grand, ses membres se réveillèrent, et ses poumons se remplirent d'une bouffée d'air. Il se recroquevilla au même moment en gémissant quand il sentit une douleur s'élancer dans son flanc. Il porta sa main sur sa blessure et fut surpris de sentir sous ses doigt, un bandage. Il baissa les yeux pour s'assurer qu'il ne se trompait pas. Un tissu blanc entourait son ventre, et là où était sa blessure, une légère tâche rouge apparaissait.

- Elle s'est ouverte, entendit le prince.

Il leva les yeux au son de cette voix calme. Une personne, qu'il supposa être une femme, était assise en tailleur devant un feu, à l'entrée de la grotte dans laquelle ils étaient. Elle portait le masque qui l'avait hanté à son réveil. Thorin devint tout de suite méfiant. Qui donc était cet individu ? Et qu'est-ce qu'elle lui voulait ?

Il recula contre la paroi de l'antre en la voyant se lever et se diriger vers lui. Face à cette réaction, la femme masquée s'arrêta. Elle pencha la tête sur le côté.

- N'ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal, Thorin, fils de Thráin, fils de Thrór, dit-elle avec toujours ce ton apaisant.

Le nain la dévisagea, incessamment sur la défensive. Il ne vit aucune arme menaçante sur elle, et de par sa tenue, il en déduit qu'elle fréquentait souvent les routes. Elle ne semblait pas plus grande que lui. Pourtant, elle n'avait en rien la corpulence naine... elle avait un corps menu, athlétique, galbé. Pour une voyageuse, cela n'avait rien d'étonnant. Encore plus si celle-ci savait se battre. Mais ce qui l'intriguait plus que tout, c'était ce visage de métal. Que pouvait-il cacher ?

L'héritier d'Erebor sortit de sa contemplation lorsque l'étrangère redressa sa tête. Il fronça les sourcils. Il hésitait à se laisser approcher, n'ayant aucunement confiance en elle. Il devait d'abord savoir qui elle était, et pourquoi est-ce qu'elle lui avait sauvé la vie.

- Pourrais-je avoir l'honneur de savoir qui vous êtes ?, interrogea-t-il.

- Cailínag fulaingt, « la Fille Errante » est le titre que l'on me donne. Mais je m'appelle Aingeal.

- Vous êtes des Îles des Tuatha Dé Danann* ?

Aingeal acquiesça silencieusement. Ces Îles des Tuatha Dé Danann dont il parlait étaient des îles à l'accès interdit pour tout étranger qui n'y était pas invité. Et même si on l'était, les dangers n'en étaient pas moindre. On ignorait presque tout de ces lieux ; nombreuses étaient les légendes qui circulaient. Comme celle qui dit que les peuples de ces terres maîtrisaient le Savoir et les Arts de la magie. D'aucuns les apparentaient à des dieux mortels. D'autres les voyaient comme des elfes, tout simplement. Rares étaient-ils à venir poser le pied en Terre du Milieu, ou juste à poser le pied hors de leur territoire. Et si Thorin avait su reconnaître d'où est-ce que venait Aingeal, c'était grâce à son médaillon en argent gravé d'un triskel, le sceau des Tuatha Dé Danann, qui pendait à sa ceinture avec les nombreux autres grigris.