Chapitre 14

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Le jour suivant, quand il fallut reprendre la route, les nains se rendirent compte d'un premier problème : ils ne possédaient que quatorze poneys pour quinze membres.

Une première solution fut que l'un d'entre eux partage sa monture avec un autre. La plupart suggérèrent qu'on laisse, par courtoisie, la protectrice disposer de son propre poney. Un tirage au sort serait alors effectué pour désigner qui lui laisserait la place.

Elle s'y opposa. Pour elle, un moyen beaucoup plus simple était envisageable. Il lui suffisait de prendre la forme d'un animal ou d'un oiseau, puis de les suivre sans encombre. Oh, dès lors qu'elle eut proposé cette solution, tous -à l'exception de Gandalf- portèrent leurs yeux sur la voyageuse avec curiosité ! De la magie, ils n'en avaient jamais vue, si ce n'est qu'entendue parler.

Pour éviter un afflux de questions, Aingeal se transforma sur le champ en une corneille, avant de s'élever dans les airs et de planer au-dessus de leur tête, le problème ainsi réglé. Parfois, pendant le trajet, un nain jetait un œil au ciel pour l'observer, en se demandant ce que cela faisait de voir tout d'en haut. Bilbon, en particulier, ne pouvait s'en empêcher. Il trouvait cela fascinant, merveilleux. Le sang des Touque bouillonnait en lui, animé par un désir de pouvoir lui aussi s'envoler et voyager, léger comme le vent.

Les pensées emplies de songes, le semi-homme ne vit pas la journée s'écouler. Ce n'est qu'en commençant à sentir de désagréables courbatures au derrière qu'il prit conscience du temps passé à poney. Il grimaça en remuant ses fesses sur la selle. Les autres ne paraissaient pas être gênés, ni même fatigués. D'ailleurs, ils ne se plaignaient pas. Sauf, peut-être, d'un léger début de faim. Le hobbit, lui, se remit à regretter son cher smial, à soupirer à chaque nouveau souvenir comme s'il s'agissait d'une lamentation. Ses livres, son fauteuil près de la cheminée, son lit, son jardin fleuri... tant de petites choses propres à son espèce. Et puis son petit-déjeuner, son second petit-déjeuner, la collation de 11h, le repas, le goûté, le dîner, le souper... en aurais-je oublié ? Comment de si petits êtres pouvaient-ils contenir tant de nourriture ? La question, je me la pose encore. Bilbon cherchait ce qui le retenait de faire demi-tour. Finalement, sa peine fut coupée par la découverte d'une place où passer la nuit, annoncée par l'étrangère.

Vue du ciel, la femme-oiseau distinguait tout. Elle surveillait ses compagnons et ne manquait pas de prévenir lorsqu'un lieu de repos se présentait, ou qu'un élément étrange se produisait. À ce moment précis, ce fut une plateforme qu'elle repéra, située en hauteur contre la paroi d'une falaise, d'où l'on pouvait voir la forêt s'étendre et les silhouettes de collines se dessiner dans l'horizon. Avec des pins et des rochers pour se cacher, ici, ils étaient à la fois en sécurité mais aussi en mesure de détecter quiconque viendrait. Ils eurent vite fait de s'installer.



Pour la deuxième fois, Aingeal n'arrivait pas à trouver le sommeil. Les dieux en soient témoins, dormir avec des nains était une horreur. Allongée à l'écart du groupe, elle les entendait ronfler et siffler, pareils à d'infernales machines. Et eux, imperturbables dormeurs, arrivaient à sommeiller profondément. La protectrice renonça à poursuivre sa nuit, puis se décida à rejoindre les deux veilleurs de cette nuit : Kili et Fili. Elle se leva et s'étira, craquant ses os engourdis, quand une drôle de sensation la parcourut, mélange d'alerte et d'inquiétude. Elle prit quelques instants pour examiner le paysage, les sourcils froncés, et s'approcha du magicien. L'Istari ne dormait pas, il fumait sa pipe, adossé contre un arbre, scrutant l'obscurité. Elle se pencha à son oreille et murmura ces mots :


- Tá siad ann*.


Le vieillard inspira sur sa pipe, le visage grave. Il le savait déjà. Aingeal passa devant lui sans rien ajouter de plus, retrouvant les deux frères près du feu. Ils l'accueillirent d'un signe de tête. Le plus jeune gloussa en regardant la demoiselle s'asseoir.

The Hobbit - La Corneille du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant