The Hobbit - La Corneille du Roi

Chapitre 10

Comme de lourds dominos qui s'écrasent les uns sur les autres, les jours et les nuits s'enchaînaient. Jusqu'à tomber sur le dernier, lequel allait soit tenir debout, soit suivre le mouvement. Est-ce que l'héritier de Durin allait être suivi ? Ou lui laisserait-on le poids de cette quête sur ses épaules ? Un poids considérable, plus pesant que la Montagne Solitaire. 

Aingeal observait les derniers invités arriver, appuyée sur les remparts de la demeure. Le vent claquait dans les drapeaux et étendards, mais caressait la chevelure noire de l'étrangère. Elle n'avait trouvé d'autre endroit plus calme que les chemins de ronde. À l'intérieur, tous les domestiques s'agitaient à s'occuper des préparatifs, à exécuter les ordres des supérieurs pour accueillir les représentants... chacun était pris, à l'exception de la voyageuse qui errait silencieusement d'un bout à l'autre du palais. 

Au début, Fili et Kili lui avaient tenu compagnie, lui faisant visiter la demeure et rencontrer personnellement quelques membres de la Compagnie de Thorin ; elle connaissait désormais parfaitement les trajets qui menaient de sa chambre à la bibliothèque, la salle d'entraînement, des bains ou des repas. Il lui arrivait de s'entretenir avec le prince, lorsqu'ils mangeaient ensemble ou venaient à se croiser. Pour ce qui était de Dís, celle-ci était venue se confier à propos de son inquiétude pour ses petits, et des doutes pour son frère. Elle était une naine fière et forte, elle n'était pas moins une mère, comme une sœur, soucieuse et aimante. 

La femme masquée sentit la présence de quelqu'un. Elle tourna d'un pouce la tête pour apercevoir le futur roi, le visage fatigué, venir vers elle. Il l'imita en s'appuyant à son tour sur la pierre, sans dire un seul mot. C'était le silence qu'était venu chercher Thorin, et son invitée, l'ayant compris, eut la sagesse de rester muette. De la sérénité, il lui en fallait. Le prince avait perdu des heures de sommeil, ses pensées se démenaient quant à la réunion qui se déroulerait dans quelques heures... ses paupières closes, il ne voyait que de sombres images. Souvent, il se voyait étouffer dans une mer visqueuse et glacée, sous les regards impassibles des siens. Il serra la mâchoire en repensant à ces expressions neutres, lesquelles il redoutait. Le laisseraient-ils sans aide ? Sans appui ? Sans même une once de compassion ? Son corps et son esprit étaient contractés, raidis. 

Et puis, quelque chose au fond de lui le caressa avec douceur. C'était chaud, apaisant, rassurant. Il inspira profondément, gonflant ses côtes afin de faire plus de place à ce sentiment. Il jeta un coup d'œil à Aingeal qui ne disait toujours rien. Cela lui parut ridicule, néanmoins il eut l'impression que cette sensation lui venait d'elle. Et il ne se trompait pas. La voyageuse n'avait pu s'empêcher de lire les émotions de l'héritier, et n'y voyant que de la crainte, elle répandit autour de lui une aura bienfaitrice. Elle se sentit soulagée lorsque Thorin se libéra de l'emprise de la peur. 

- Tous les membres de la Compagnie sont déjà partis, déclara le nain pour briser leur mutisme. Ils prennent de l'avance, mais nous devrions tous nous retrouver à la même date prévue chez le cambrioleur.

- Je n'ai pas de doute sur la façon dont vous serez accueillis : les hobbits sont de bons hôtes. 

- Le soucis de notre accueil est loin de m'importer, je pense surtout à ce qui s'en suit. 

- Seigneur Thorin, la réponse des vôtres qui vous attend ne doit pas entacher votre quête. 

- Si nous sommes des milliers, nous ne pouvons que mieux réussir. 

- Ou pas...

Le nain fronça ses sourcils. Il paraissait évident qu'une armée avait plus de chance de reconquérir un royaume que treize nains, un magicien et un cambrioleur. Sa Compagnie était toutefois ce qu'il avait de mieux pour le moment, et il ne s'en plaignait pas. Elle était son épée, sa hache, sa dague qui allait trancher les ailes du dragon, couper sa tête et crever son cœur. Lorsqu'il verrait la bête gésir sur les innombrables pièces d'or d'Erebor, il pourrait enfin être libéré de tout poids.