Chapitre 12

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Note de l'auteur : Voici un chapitre qui clôt la première partie. Nous allons bientôt rentrer dans la trilogie ! 
Je tenais à préciser que les discussions en italique sont en gaélique. N'ayant pas atteint un assez bon niveau, je me vois être restreinte dans le vocabulaire... 


Je vous souhaite une agréable lecture !


Loin de la Compagnie, loin de la Comté et loin des royaumes de la Terre du Milieu, se trouvaient les Îles des Tuatha Dé Danann. Vaste archipel aux étendues de plaines et de forêts, aux abondantes collines et rivières, ces îles se perdaient dans l'océan. Quand le soleil se couchait dans le corps froid de la mer, l'ombre de Caisléan Glaschloch* se déployait sur la ville de Nás-na-Riogh, autrement dit, "Lieu de rencontre des Rois". Caisléan Glaschloch, château-fort gigantesque dressé sur son tertre, gardait les lieux et protégeait les habitants. Un duvet de mousse verte recouvrait les pierres qui l'édifiaient, lui donnant une nuance émeraude, d'où son nom. C'était une demeure complexe, aux innombrables tours, murailles et chemins de ronde. Des hourds en bois faisaient passerelles ; quelques échauguettes, attenantes aux murs, préservaient un poste de guet. Il ne manquait pas de meurtrières sur les façades, il ne manquait pas non plus de grandes fenêtres pour illuminer le logement seigneurial, principal bâtiment. 

Derrière l'une d'entre elles se dessinait une silhouette. Celle d'une dame, à la robe bleue nuit parée de fourrures et de broderies aux motifs celtiques, regardant tristement l'océan se jeter sur les immenses falaises et les mouettes planer dans le vent. La beauté de son visage était celle d'une fleur se mourant, dont on sait qu'autrefois elle fut gorgée d'éclats, mais qui par un terrible sort, avait perdu sa lumière. Des rides, apportées par la fatigue plus que la vieillesse, paraient les coins de ses yeux verts-gris. Sa chevelure brune, tombante et ondulée, était striée de mèches blanches. 

Ce devait bien faire des heures qu'elle n'avait pas quitté sa fenêtre. D'abord pour se plonger dans la lecture d'un livre de contes et de légendes, pour ensuite se plonger dans la lecture des vagues et des nuages. Le feu de cheminé s'était éteint, les braises peinaient à chauffer la petite pièce. La femme tiqua en apercevant quelque chose à l'horizon. Les pêcheurs rentraient plus tard qu'à l'accoutumé. Le poisson avait-il manqué ? Elle devra en toucher un mot au Mór* de la cité. 

Des coups à la porte la dérangèrent. Un homme, grand et fort, se présenta. Il portait une tunique verte, au col en V brodés de nombreux entrelacs, ainsi qu'un pantalon rouge. Une ceinture à laquelle pendaient épée, bourse et cor de guerre, était serrée à la taille. Ses cheveux mi-longs et sa barbe étaient d'une couleur rousse, parcourus de tresses et de perles. Une cicatrice barrait son visage, elle traversait du bas de sa mâchoire à son front, passant entre ses yeux gris. Il s'agissait d'un capitaine de marine, reconnaissable par son cor d'ivoire, gravé d'une scène de combat naval. 


- Mo bhanríon*, tous les généraux de guerre et le Draoi Mór* vous attendent, annonça-t-il en s'inclinant légèrement en avant. 


À cela, la reine ne répondit pas. Son silence inquiéta le soldat. Il leva un regard soucieux sur la souveraine et vit qu'elle n'avait pas bougé d'un pouce. Elle scrutait toujours le paysage, perdue dans ses pensées. Dehors, le ciel prenait une teinte allant du violet au rouge, passant par une délicate couleur rose. La mer, qu'on voit danser, le long des côtes de basalte, avait des reflets dorés. 


- Faolan, mon ami, quel jour sommes-nous ?, demanda-t-elle enfin. 

- Le 27 avril, mo bhanríon.

- Demain, cela fera 366 années qu'Aingeal est partie. 


Faolan soupira. Sa mémoire éveilla de terribles images qu'il peinait à faire taire. Il s'en rappelait comme si ce fut hier. Tout le monde -du moins ceux qui avait assisté à ce sombre jour- avait le souvenir de cet événement. Or, la personne qui avait le plus éprouvé cette date était, en ce moment, avec lui. Nul besoin de sonder son esprit, sa douleur se lisait sur son visage. 


- Vous n'avez fait que votre devoir en prenant la décision de la bannir,  rappela l'homme. 

- J'ai fait mon devoir de reine, qu'en est-il de mon devoir de mère ? 


Ils se fixèrent l'un l'autre, soutenus par un sentiment de peine et de colère. Cependant, la compassion que dégageait le capitaine radoucit la reine. Ses paupières papillonnèrent tandis qu'elle reprenait ses esprits, elle passa ses doigts sur sa tempe et expira profondément. Elle caressa la couverture de son livre, se leva et se dirigea vers sa bibliothèque en bois de chêne fumé. Toutes les étagères étaient emplies de livres de toutes sortes, aux reliures magnifiquement décorées et colorées, telle une mosaïque. D'autres, en revanche, paraissaient si vieux qu'au moindre touché, ils tomberaient en cendres. En parcourant chacun d'entre eux, la souveraine se mit à sourire. 


- Quand nous avions du temps pour nous deux, elle et moi venions ici, raconta-t-elle. Soit l'une lisait un ouvrage à l'autre, soit nous lisions silencieusement, côte à côte, auprès du feu, elle glissa son bouquin à sa place. Blodwyn, elle, trouvait ça ennuyant. 

 - Dame Blodwyn a toujours été le contraire d'Aingeal, constata Faolan. 

- En effet, un gloussement s'échappa des lèvres de la femme. Elle a beau être sa jumelle, elle n'a jamais  voulu lui ressembler. Voyez, ses cheveux qu'elle a teint tout de blanc, c'était car ceux d'Aingeal étaient tout de noir. 


Le guerrier sourit tristement, touché par cette femme qu'il respectait et aimait tant. Plus que quiconque, cette personne avait souffert de la mort du roi, son mari, et du bannissement d'une criminelle, sa fille. C'était une souveraine bonne et juste, qui jamais n'avait fauté pour recevoir un tel fardeau. 

Il posa ses yeux sur un objet brillant, posé sur le bureau de sa dame ; une tiare d'argent, composée par des entrelacs où un triquetra était formé à l'avant. C'était la couronne de la reine, qu'elle retirait quand elle se trouvait seule ou en compagnie de proches. Il s'en approcha et la prit délicatement entre ses mains. Il retourna vers la femme et, avec conformité, déposa sur sa tête le cercle de métal. En s'inclinant, il recula, pris d'une certaine pudeur pour avoir été si familier. Il ne craignait rien d'elle, il n'était toutefois pas intime. 

Dès lors qu'elle avait retrouvé la sensation de sa couronne sur son crâne, toute la responsabilité de son rôle royal lui revint à l'esprit. Que les noires pensées cessent, le passé n'est plus ! Elle était attendue en salle des conseils, il ne s'agissait pas de faire patienter ses hommes. On ne néglige pas une guerre qui se prépare. 

Tout en se redressant, elle bomba la poitrine et indiqua d'un signe du menton qu'elle était prête. Un sourire éclaircit son faciès, il contamina les lèvres de Faolan. Avec courtoisie, il lui ouvrit la porte, et lorsqu'elle fut sortie, il laissa traîner son regard à travers la fenêtre. Quelques étoiles s'étaient allumé, haut dans le ciel. L'océan avait perdu ses reflets d'or. La princesse déchue était quelque part, loin derrière l'étendue bleue, à errer dans l'inconnu. Que devenait-elle ? 



*Caisléan Glaschloch : Château Pierre-Verte.

*Mór : Grand, en irlandais. Je me suis inspiré des Grands du Royaume, des officiers qui avaient des charges à l'époque médiévale. Ici, il s'agit de seigneurs ou de chefs de village. Ils peuvent être comparé à des maires, quoique leur rôle militaire est souligné. 

*Draoi Mór : Grand Druide.

*Mo bhanríon : ma reine. 

The Hobbit - La Corneille du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant