Chapitre 11

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La nuit est un étrange cycle obscure, où quand d'autres y voient l'unique moment pour s'en aller au sommeil et aux songes, certains y voient une occasion de se recueillir.

C'était ce à quoi Aingeal vaquait depuis de longues et interminables minutes. Allongée dans l'épaisse noirceur de sa chambre sur son lit baldaquin, les paupières closes et la respiration profonde, l'étrangère pensait encore et encore aux événements récents, et ceux à venir. Ce qui revenait le plus souvent à son esprit, c'était Thorin. Son visage abattu, mêlé de colère et de tristesse. Un orage avait éclaté en lui dès lors qu'il n'avait pas obtenu ce qu'il espérait. Elle savait qu'il ne cessera jamais plus d'éclater, pas tant qu'il n'aurait pas récupéré l'héritage se son peuple, de son père, de son grand-père.

La protectrice avait connu un orage. Un tonnerre déchirant, torturant. Le temps l'avait calmé, mais elle s'en souvenait et s'en souviendrait toujours. Dès lors que sa mémoire ranimait les images du passé, l'amertume et le chagrin déferlaient dans ses veines. C'est malheureusement ce qui arriva à ce soir-là. De terribles souvenirs prirent forme sous ses paupières, sa gorge se serra et ses oreilles bourdonnèrent. Des vagues de sueurs froides la noyèrent tandis que son souffle tremblait. Elle porta sa main à sa poitrine et crispa ses doigt contre le tissu de sa chemise de nuit, comme pour attraper son cœur et l'étouffer. Il cognait si fort ses côtes qu'il menaçait des les briser. Une étrange sensation couvrit ses joues et ses tempes. À la fois humide et chaude, cette sensation, elle n'y était plus habituée. Des larmes. Sur ses joues de neige, rougies par le sel de ses sanglots.

Ce sentiment était suffocant, désagréable. S'asseyant sur le bord du matelas, Aingeal frotta ses yeux à l'aide de sa manche. Elle renifla, détendue par ce simple geste qui venait de chasser les flots de la tristesse. Son regard se perdit dans le vide, ses pensées agitées s'apaisèrent. Elle reprenait petit à petit le contrôle de ses émotions. Plutôt que de replonger dans de sombres réflexions, l'idée d'une balade lui fut la bienvenue. Elle sauta sur ses pieds et se dirigea vers l'armoire. Elle en sortit une robe de chambre en tissu brocart noir et d'or ; un riche vêtement si délicatement brodé que vous et moi n'aurions eu le courage de porter. L'habit enfilé, elle s'approcha de la table, où son masque l'attendait.

Pour une virée nocturne, en avait-elle vraiment besoin ? Assurément. Elle en avait toujours besoin. Cependant, qu'avait-elle à craindre si tout le monde dormait ? « On ne sait jamais », pensa la voyageuse en portant le faciès de métal à son visage.




La fraîcheur de la nuit avait pénétré aisément les couloirs du palais, griffant la peau de tous ceux qui, comme Aingeal, avaient décidé de quitter le confort de leurs draps. Or, il n'y avait pas l'ombre d'une souris. Seule à errer, la femme masquée glissait avec grâce sur les dalles de pierre. Ses pieds nus ne produisaient presque aucun son, discrets et légers. Elle était un spectre silencieux, vagabondant d'un endroit à l'autre. 

Et puis, elle s'arrêta, troublée. Un sentiment familier vrombit dans ses entrailles, à nouveau une sensation d'orage. Orage qui n'était pas le sien. La tempête venait de quelqu'un d'autre, pris dans la souffrance et la solitude. L'étrangère se remit à marcher, déterminée à trouver la source de ce malheureux sentiment. Plus l'agitation et l'âpreté l'envahissaient, plus elle approchait du but. Elle déboucha dans ces immenses couloirs aux colossales colonnes qu'elle avait découvertes en premier, le jour de son arrivée. Ici, même un Homme s'y sentirait petit, particulièrement quand aucune âme ne s'y déplaçait et que le voile de la nuit étouffait le plus petit rayon de lumière. 

Aingeal traça son chemin, sa robe de chambre se déployant en arrière comme des ailes. Tout autour d'elle défilait tandis qu'elle avançait d'un pas décidé. Enfin, elle pénétra la salle du trône. Un endroit magnifique, gigantesque, majestueux. La géométrie de l'architecture, œuvre sans pareil où la pierre fut travaillée par les mains de maîtres ouvriers, jouait sur l'ampleur des lieux. On ne s'y sentait, en tout cas, pas écrasés. L'unique chose qui donnait cette impression était une statue imposante, debout sur le siège royal ; un guerrier nain brandissant un marteau. Quatre flammes étaient allumées sur chaque angle du socle sur lequel il se tenait. Il semblait menacer tout ennemi qui viendrait à s'en prendre au seigneur assis à ses pieds. Protecteur de pierre figé dans le temps, il resterait loyal éternellement. 

The Hobbit - La Corneille du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant