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Je finis par m'endormir. Pleurer m'a retiré le semblant de force qu'il me restait. Cela ne dure pas très longtemps. Il ne faut qu'une heure et demie de vol pour atteindre l'un des aéroports privés waldoriens. Dormir dans un avion n'est pas la meilleure solution, somnoler traduirait d'ailleurs mieux les courtes périodes d'endormissements qui ont suivi ma longue crise de larmes.

— Nous allons bientôt atterrir.

Mon regard est fixé sur le ciel nocturne tandis que les informations d'Aiden me parviennent d'une voix lointaine. Je crois que je hoche la tête. Je n'en suis pas certaine, tout est encore embrumé là dedans. Je ne me rends pas compte des gestes que je peux faire. Des questions m'envahissent et prennent toute mon attention. Il n'y a plus qu'elles désormais. Et d'elles, découlent des craintes, des peurs.

J'ai encore l'envie de me réveiller. Je crois que cette sensation perdura un certain temps, jusqu'à ce que cette réalité devienne la mienne. Que je l'accepte. Si tant est que je puisse l'accepter un jour. Je m'attends à tout moment à ce qu'une explosion retentisse et que je finisse par faire une chute vertigineuse. Une chute, c'est souvent ce type d'événements qui nous réveille en sursaut. Quelque chose de brutal. Laissez-moi sauter et tout sera fini dans quelques minutes, c'est sûr et certain.

Mon comportement, vu de l'extérieur, doit probablement faire penser à celui d'une morte-vivante. Peu de gestes, le regard vide, les traits pratiquement immobiles depuis que j'ai cessé de pleurer. Ce n'est que la face visible de l'iceberg. Ce qui en dessous de la surface s'apparente plus à tourbillon en fait.

C'est lorsque je sens l'avion perdre en altitude que j'arrive, ne serait-ce qu'un peu, à reprendre mes esprits. Plus nous descendons et tout redevient clair. Je crois que c'est plus un mécanisme de survie qui s'active qu'une réelle envie de ma part.

Il n'y a rien de facile dans ce que je traverse et dans ce que je vais devoir traverser. Mais je repense à un échange que j'ai eu avec Sutton, dans ma chambre. Je n'avais d'autres choix que de le suivre. Cependant, j'ai pu décider de lui faire confiance ou non. Certes, j'ignore si ça aurait changé grand-chose à la situation si j'avais opté pour le choix contraire, mais j'ai pu décider et essayer. Il est évident que tout m'échappe complètement. La seule chose qui est encore à ma portée, c'est ce que je décide de faire. Comment j'ai envie de réagir. De quelle manière vais-je appréhender les prochaines heures, les prochains jours ? Je compte sur mes émotions, je sais qu'elles me feront réagir la plupart du temps. Mais les moments où je sens que le volcan se calme pourraient m'être utiles. Je pourrais opter pour l'action que la réaction. La réflexion à un trop-plein d'émotion.

Je ne suis pas parée pour tout ce qui se produit. Peu de jeunes filles de mon âge le seraient. Il faut que je trouve un moyen. Celui de ne pas sombrer dans la folie. Pour la première fois de ma vie, je ne peux compter que sur moi-même.

— Quelles informations êtes-vous en mesure de me partager ? laissé-je entendre à la surprise de tous.

Je déconcerte mon interlocuteur déjà par ma simple voix, mais également par mon côté très affirmé. Peut-être même par ma froideur : c'est presque de l'autorité. C'est surtout une colère mélangée à une curiosité nécessaire.

— Quelles sont vos questions mademoiselle ? me questionne-t-il en se redressant. Posez-les-moi et je verrais si je suis la personne qui peut vous répondre.

— Depuis combien de temps je vis avec des imposteurs ?

Aiden Sutton prend un certain temps avant de me répondre. Il m'examine, il évalue la phrase qui pourrait moins me choquer. Il finit par abandonner : quelle que soit la formulation qu'il emploierait, la réaction sera la même.

Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant