Nous sommes restés deux bonnes heures dans la bibliothèque. Il leur a fallu un certain temps avant qu'ils n'osent toucher un ouvrage du bout de leur doigt. Ils ont d'ailleurs paru très mal à l'aise lorsqu'Aiden Sutton est arrivé pour s'assurer que tout allait bien. Pas par manque de confiance envers ses hommes, du moins je ne crois pas. Non, je pense plutôt que c'était une envie personnelle de savoir dans quel état émotionnel je me trouvais après la rencontre avec le Prince Ernest. Il a très vite été rassuré lorsqu'il m'a aperçue, assisse dans un sofa, calme et griffonnant à toute vitesse.
Ce qui m'a coupé dans mon élan n'est pas le manque d'idées, mais des gargouillements provenant de mon estomac, l'organe le plus important pour moi. L'envie de descendre directement aux cuisines et de me faire rapidement un sandwich m'a traversé l'esprit. Évidemment, les garçons ne m'ont pas laissée faire et ils ont eu raison : si j'avais été face à Madame Millet, je lui aurais très probablement craché le morceau. Je ne sais pas pourquoi, mais cette dame âgée m'inspire de la bienveillance et ses crêpes sont si redoutables que cela pourrait me délier la langue en l'espace d'une seconde.
Je suis donc retournée dans ma chambre en traînant des pieds, accompagnée de Thomas tandis que Toby se chargeait de mon repas. S'ils peuvent éviter que j'aie de la visite en dehors des personnes qui connaissent mon histoire, ils le font. Quitte à enfiler plusieurs casquettes pour satisfaire les ordres reçus.
Maintenant que j'ai posé une grande partie des questions sur papier, il faut que je les organise : ce sera beaucoup plus efficace pour mon cerveau. Je m'installe à table, la main sur le ventre et les yeux rivés sur le carnet. Je souligne les questions qui réfèrent à la possibilité numéro une : celle de rester ici. Les autres seront pour le second chemin qui s'offre à moi.
— Sandwich à la dinde, annonce Toby en entrant.
— Merci beaucoup, Toby !
— De rien, Adélaïde. J'ai également une information de la part de monsieur Sutton. Il souhaite savoir si vous voulez manger avec Leurs Majestés ainsi que Son Altesse Royale, le Prince Ernest, ce soir ? Le Prince devait partir à dix-huit heures, mais si vous acceptez, il partira plus tard.
— Euh...
Je m'attendais encore à manger toute seule, dans cette chambre. Je dépose mon regard sur l'une des pages noircies où un bon nombre de questions attendent mes réponses. C'est peut-être l'occasion d'en poser quelques-unes, en espérant que cela ne les dérange pas que le Prince Ernest assiste à mon interrogatoire. Il pourrait se révéler d'une aide précieuse, qui sait.
— Il n'y aura pas les... enfants ?
— Non, le Prince et la Princesse mangeront séparément.
— Alors, c'est d'accord.
Je ne suis pas prête à rencontrer ma sœur — c'est tellement étrange d'utiliser ce mot —. Et je suis encore moins prête à l'idée de rencontrer mon frère, lui non plus ne l'est pas de toute façon.
— Le repas sera servi à dix-huit heures trente. Il est de coutume d'arriver à l'endroit du dîner quinze minutes avant.
— Départ à dix-huit heures dans ce cas ? conclus-je.
— Très bien.
J'ai donc quatre heures devant moi pour finaliser et choisir les questions les plus pertinentes à poser en tout premier lieu. J'ai l'impression d'être une journaliste qui bosse sur son sujet de l'après-midi... Le sujet étant sa propre personne, en quelque sorte. C'est toujours plus facile de travailler sur quelque chose qui ne nous concerne pas. L'esprit est plus objectif, plus critique. Il voit ce qui ne colle pas, ce qui manque, les incohérences et les trous à remplir.
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Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©
Ficțiune adolescențiLa vie n'est pas toujours ce qu'elle paraît et, du jour au lendemain, elle peut changer du tout au tout. C'est ce qu'a compris Lise Devereux, lorsqu'en arrivant dans son salon, elle a vu ses parents entourés par près de huit gardes armés. Mais c'es...