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Lise

Les deux jours qui ont suivi le dîner m'ont permis de tout remettre en question et en perspective. D'analyser ce malaise qui était apparu en moi lors l'interrogatoire que j'ai fait passer à mes véritables parents. J'ai tout repassé en revue. J'ai noté, renoté, refait un tableau. Cette confusion que je ressentais depuis deux jours s'est arrêtée pile au moment où j'ai abandonné le carnet au fin fond de ma valise. Quand je me suis rendu compte que c'était du temps perdu, car j'avais déjà pris ma décision depuis longtemps, sans le savoir. Je n'ai rien dit à personne, j'ai patienté. Jusqu'à aujourd'hui, samedi. Je n'avais pas envie de me lancer dans la précipitation et finir par le regretter. Alors, j'ai attendu, comme je l'avais annoncé à tous.

J'ai décidé de faire part de ma décision après le passage dans cet entrepôt où toutes mes affaires guettent mon arrivée. Moi, je guette depuis la porte de ma chambre que monsieur Sutton arrive. Thomas et Toby sont face à moi, silencieux. Je leur ai à peine adressé la parole en sortant de la chambre et je pense qu'ils ont compris, un tant soit peu, l'état dans lequel je me trouve ainsi que les enjeux de cette journée. J'aimerais passer outre mes émotions et rompre ce silence qui se fait de plus en plus pesant à mesure que le temps passe, mais je n'en ai pas la force. Toutes mes pensées sont focalisées sur les deux objectifs de la journée : le triage de mes affaires et la discussion que j'aurais dans l'après-midi avec mes parents. Les deux risquent d'être assez émotionnels. Le premier probablement plus dur que l'autre. C'est la dernière fois où je suis obligée de me replonger dans une vie qui n'a jamais vraiment été la mienne. J'imagine qu'elle me reviendra en pleine face de temps à autre, dans les moments difficiles par exemple.

Sutton débarque peu avant neuf heures, selon la montre que l'on m'a prêtée, il y a deux jours. Je crois que j'ai suffisamment râlé de ne pas avoir accès à l'heure, en dehors de la chambre que j'occupe, que ça a poussé l'un des gardes à s'en procurer une.

— Bonjour, mademoiselle, me salue-t-il plus préoccupé que les jours précédents. Comment allez-vous ce matin ? Êtes-vous prête ?

— Je ne suis pas certaine que le mot convienne, mais disons que je me suis préparée à l'idée. Et vous, comment allez-vous, monsieur Sutton ?

— Très bien, nous partons dès que vous l'aurez décidé.

— Nous pouvons y aller, annoncé-je, avant que je ne change d'avis.

Je crois qu'Aiden Sutton me cache quelque chose. Il ne semble pas particulièrement dans son assiette, alors « très bien » me paraît exagéré. Je décide pourtant de ne rien dire, ayant déjà dû mal de gérer mes émotions. Il est évident que cela risque d'être de plus en plus compliqué de rester calme au fil des prochaines heures. Ma tête est un champ de bataille, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée d'entrer dans celle d'une autre personne.

Nous arrivons dans la cour et nous prenons la même place dans la voiture que la dernière fois où j'ai quitté le palais, en début de semaine.

— L'entrepôt est à trente minutes, m'informe-t-il.

— D'accord... Vous y avez vraiment tout ramené ?

— Tout y est. Les meubles, la vaisselle, les vêtements. Nous n'avons rien laissé derrière nous.

— Je pense que la grande majorité ne me servira pas à grand-chose, qu'importe la vie que j'aurais.

Je fais planer encore le doute. Je ne suis pas prête à cent pour cent. Je dois en premier passer cette étape. Et puis, j'ignore à qui le dire en premier. À mes nouveaux parents, certainement. Ce serait la chose logique à faire, mais je laisserai mon cœur décider du moment, de l'endroit et des personnes voulus.

Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant