Lise
J'ai encore quelques problèmes avec la notion du temps. Je n'y fais plus trop attention, à vrai dire. Je ne regarde plus les nombreuses horloges sur mon passage et l'absence d'un téléphone n'aide pas. J'ai bien mon ordinateur, mais l'allumer juste pour voir l'heure me semble un peu exagéré. À mon réveil, je doute un peu d'elle. Je redoute d'avoir trop dormi et d'avoir raté le prince Ernest, mon oncle... Ou alors de ne pas avoir assez dormi et de devoir attendre de longues heures dans l'appréhension et les questionnements. Un coup d'œil à la fenêtre ne m'aide pas beaucoup : le temps semble être aux gros nuages noirs. Belle journée en perspective.
L'envie de rester allongée, de me rendormir, de profiter de cet instant où je suis seule est plus que tentante. Mais, très vite, mon esprit s'occupe par la matinée, par le palais, par cette nouvelle famille que je me dois d'adopter, au moins ces prochains jours. Donc, je me lève et file sous la douche. Les souvenirs d'hier soir refont surface sans préavis. Ses larmes, son regard froid. Ses excuses, son manque de regret. Deux personnes aux réactions diamétralement opposées. Deux personnes sur qui je dois faire un trait, dès à présent. Seize ans, à effacer d'un claquement de doigts. Je dois tout recommencer à zéro et c'est effrayant. Je suis face à plusieurs chemins, mais, avant ça, il me reste des obstacles aux nombreux points d'interrogation.
Ma quête de l'heure prend fin lorsque j'entrouvre la porte de ma chambre et que j'aperçois deux gardes, ceux de nuit. Je crois que Thomas et Toby prennent la relève entre neuf heures et dix heures, je suis donc encore dans les temps.
— Bonjour, je les salue d'un sourire. Est-ce que vous pourriez me donner l'heure, s'il vous plaît ?
— Il est sept heures trente-deux, mademoiselle. Souhaitez-vous votre petit-déjeuner ?
— Oui, merci beaucoup. Est-ce que monsieur Sutton est déjà venu ? Enfin, a-t-il demandé à me voir ou dit quelque chose ?
— Non, mademoiselle, mais je vais le prévenir de votre réveil.
— Je vous remercie.
Je referme la porte derrière moi et effectue la chose que j'ai le mieux appris à faire depuis mon arrivée : attendre. Attendre mon petit-déjeuner alors que je pourrai le faire seule, comme je l'ai toujours fait. Attendre Sutton pour des réponses. Attendre l'arrivée du Prince Ernest. Attendre de pouvoir voir Leurs Majestés, mes chers parents. J'attends. Je crois que c'est cet état passif qui m'a un peu poussé à avoir cette folle idée, hier. Je n'en pouvais plus d'être dans l'inaction, dans la réflexion. Il fallait que je fasse quelque chose, comme un pas symbolique. Je me rends compte que ça peut sembler égoïste, voire totalement stupide. C'était un besoin que je devais satisfaire pour me sentir vivante, pour sortir de cet état second, et même de cette prison. Il fallait que j'agisse, que je prenne la situation en main. Que je reprenne, un tant soit peu, le contrôle de ma vie et que je comprenne pour avancer. Comment décider quand on est sans réponse ? Quand les mystères sont encore là ?
Je m'affale sur l'un des canapés, la tête posée sur un coussin et tournée vers le plafond. Un plafond si haut que je ne pourrais jamais l'atteindre, debout sur le lit ou sur les épaules de quelqu'un. J'ai l'impression d'être de plus en plus petite au fur et à mesure que mes yeux inspectent les différentes gravures en formes de fleurs. Les murs s'élargissent, le plafond s'élève. Le temps continue à s'écouler, mais j'ignore à quelle vitesse : ma perception n'est plus la même. Je peux être là depuis deux minutes, comme depuis une heure, bien que la première hypothèse soit plus plausible. Mon petit-déjeuner ne mettrait pas une heure à arriver, plutôt dix ou quinze. Je me redresse d'ailleurs lorsque l'on me signale que j'ai de la visite. Une gentille petite dame entre dans la pièce, la porte tenue par l'un des gardes. Elle dépose ensuite le plateau et disparaît presque aussi vite, en m'ayant lancé tout de même un regard curieux. Je me demande ce qui se dit en cuisine ou dans n'importe quelle partie de ce palais. Ont-ils tous gobé le mensonge qu'on leur a servi ? Ne trouvent-ils pas ça exagéré que la nièce de Sutton ait deux gardes devant sa chambre en permanence ? Je ne les crois pas si stupides pour avoir avalé cette explication. Le respect, ça doit être ça qui les fait patienter.
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Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©
Teen FictionLa vie n'est pas toujours ce qu'elle paraît et, du jour au lendemain, elle peut changer du tout au tout. C'est ce qu'a compris Lise Devereux, lorsqu'en arrivant dans son salon, elle a vu ses parents entourés par près de huit gardes armés. Mais c'es...