Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©

05

Aiden Sutton

Je n'ai rien montré. De notre première rencontre à maintenant, j'ai dû tout garder en moi. Je n'aurais jamais cru que ce serait aussi difficile. Quel idiot d'avoir pensé qu'il aurait été facile d'annoncer toute la vérité à une jeune fille qui avait eu, jusqu'à présent, une vie parfaitement normale. Cela fait dix-huit ans que je travaille ici. Que je protège Ses Majestés et Ses Altesses Royales. Ou que je tente de le faire plutôt. L'enlèvement a été le pire jour de toute ma carrière. Peut-être même de ma vie. Aujourd'hui entre sans conteste à la deuxième position. J'ai rétabli la vérité, mais j'ai brisé une vie. J'essaie de me réconforter. Après tout, ce jour est censé être une victoire et je devrai m'en réjouir. Pourtant, je n'y arrive pas. Mes pas sont lourds et mon cœur l'est encore plus. J'ai son regard encré dans ma tête, celui d'une fille qui a tout perdu et qui n'a plus de raison d'être.

Je me fais sûrement des idées, j'espère que tout ceci n'est dû qu'au choc de la nouvelle.

« Ah Aiden, comment aurais-tu réagi à sa place ? »

Ouais, non. Il lui faudra bien plus qu'une nuit de sommeil pour se remettre de tout ça, à supposer qu'elle y arrive un jour. Entre le kidnapping, ses faux parents, ses vrais parents, la petite a beaucoup de choses à gérer et je crains que les prochains jours ne l'aident pas plus que ça.

Je m'arrête un instant, au bout d'un couloir, reprenant mon souffle après ce trop-plein d'émotion. Malgré mon sérieux et le protocole auquel tous doivent se soumettre, mon caractère empathique a pris le dessus. Pas suffisamment pour me faire commettre un faux pas, bien que mon envie de la serrer dans mes bras a été importante à certains moments, mais assez pour que ses émotions me soient transmises. Sa peine, sa détresse, sa peur. J'aurais bien besoin de repos, mais il me reste une dernière chose à faire avant de pouvoir fermer les yeux et me remettre de cette journée.

J'arrive devant la porte du petit salon où ils m'attendent. Pour eux aussi, cela ne doit pas être évident. Il y a eu d'abord la crainte, celle que tout soit encore un mensonge. Depuis la disparition de la Princesse il y a presque dix-sept ans, les fausses pistes ont été assez nombreuses. Sans oublier les gens malintentionnés qui disaient avoir vu la princesse, si bien que Leurs Majestés n'étaient plus mis au courant de chaque appel, pour leur propre bien. Chaque piste était étudiée minutieusement et quand elle semblait fiable, ils étaient informés. Enfin, en théorie, car aucune piste ne s'était montrée sérieuse, jusqu'à il y a une semaine. Au-delà de la ressemblance flagrante entre Sa Majesté et la jeune fille, l'identification des faux parents a été la clé. Combien de chances y avaient-ils pour qu'une parente ressemblant à Sa Majesté la reine cohabite avec deux individus qui avaient été fichés comme potentiels fauteurs de trouble ?

« Il semblerait qu'entre fauteurs de trouble et kidnappeurs, il n'y a qu'un pas » pensé-je avec colère.

Je lance un regard d'approbation à l'huissier. Il ne sait pas pourquoi je suis là, il sait juste que ses majestés font les cent pas et patientent ici depuis la fin du dîner. L'homme ouvre les portes, fait quelques pas dans la pièce avant de tonner d'une voix forte :

— Monsieur Aiden Sutton, vos Majestés.

À l'attente de mon nom, j'entre à mon tour dans la grande pièce et, une fois devant la Reine et le Roi, j'effectue un affaissement de la tête. Nous restons silencieux le temps que le huissier ne ferme la porte derrière lui. Immédiatement, la Reine s'élance vers moi avant que je n'aie pu dire le moindre mot.

— Comment va-t-elle Aiden ? me questionne-t-elle soucieuse.

Ses mains jointes qu'elle superpose dans un geste frénétique me montrent bien toute la complexité de la situation.