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« Adélaïde ».

Je ne cesse de répéter ce prénom dans ma tête dans l'espoir qu'il ait une résonance familière, mais rien n'y fait : il me semble étrange et froid.

Ma mère est partie s'habiller et je suis désormais seule avec son mari, à nouveau installés autour de la table où le reste du petit-déjeuner me donne envie. Si je demande, est-ce que j'aurais le droit d'avoir des crêpes dans l'après-midi ?

— Tu es stressée ?

Le mot est bien faible pour qualifier l'angoisse qui m'a envahie après que j'ai prononcé cette merveilleuse idée. Aussi belle soit-elle, je ne peux m'empêcher de paniquer. Le Prince Ernest est le seul membre de cette famille, qui est la mienne, que je vais rencontrer après mes parents. Un oncle, c'est différent. Et s'il me détestait ? Et s'il ne souhaitait pas me voir ? Comme Philippe, ce frère que je n'ai pas encore rencontré officiellement. Je me suis enfuie si vite la première fois quand j'ai vu le couple royal que je n'arrive même plus à me souvenir de son visage.

— Si ça peut te rassurer, Ernest est quelqu'un de bien. Cette rencontre va lui faire du bien. Beaucoup de bien. Il va pouvoir enfin respirer et retrouver le sourire, comme nous tous.

— Je sais qu'il culpabilise beaucoup, je l'avais compris dès la première fois où vous m'aviez parlé de sa captivité et des événements qui se sont produits par la suite. Je sais que mon absence a causé beaucoup de tort... J'espère que ma simple présence pourra en réparer quelques-uns.

— C'est déjà le cas, me promet-il.

Je me sens un peu rassurée, c'est déjà un bon début. Petit pas par petit pas. C'est comme ça qu'il faut avancer, tout en agrémentant son chemin de grands sauts, de temps à autre. Les revoir hier était un obstacle, le rencontrer aujourd'hui s'apparente plus à un rayon de soleil qui éclaire ma route. J'ai décidé de voir ma vie de cette façon désormais. Je marche, j'accélère parfois. Je vois au loin un carrefour et des directions plongées encore dans le noir et qui s'opposent.

— Tu fronces les sourcils comme elle.

— Hum ? Pardon, j'étais dans mes pensées.

— Je disais que tu fronces les sourcils comme ta... comme Helen. Il arrive souvent que ses pensées s'emparent totalement d'elle. Un avion pourrait s'écraser à quelques mètres d'elle, je ne suis pas certain qu'elle s'en rendrait vraiment compte. Sa concentration est impressionnante, surtout quand il s'agit d'affaires d'État ou quand... Elle repense à ce qui s'est passé. Mais toi, à quoi penses-tu ?

— J'essaye de prendre ma décision, sur les choix que vous m'avez donnés. Je tente vraiment de comprendre où est ma place, où est-ce que je veux être dans dix ans. Mais je ne le savais déjà pas il y a quelques mois, alors maintenant... Je suis effrayée à l'idée de me tromper.

— Alors, dis-moi. Dis-moi quels sont les points d'interrogation dans ce brouillard. J'imagine que tu dois en avoir une tonne et je suis sûr que nous pouvons t'aider pour en faire disparaître certain.

— Je sais, c'est juste que...

J'hésite. Tenir une conversation n'est pas évident quand on ne connaît pas son interlocuteur depuis longtemps. On ne sait jamais comment ça va tourner et si les mots employés sont suffisants, sont corrects.

— Que ? répète-t-il d'une voix douce. Il ne faut pas que tu aies peur de tes questions.

— Je n'ai pas peur des questions, j'ai peur des réponses. Peur de blesser, peur que ça ne m'aide pas.

— Sans les poser, tu ne peux pas savoir et les réponses que tu peux imaginer dans ta tête accablent souvent plus que les véritables réponses.

Nos Années Volées ▬ Tome ✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant