Quelques jours se sont écoulés et ma confiance revient petit à petit. Mes muscles ont repris le travail et je peux à présent me déplacer en béquille. Ma famille passe me voir régulièrement et leur présence est l'objectif de mon combat. Je veux guérir pour eux, je veux vivre pour lui prouver qu'il avait tort. Que le mal qu'il m'a fait ne me détruira pas car j'arriverai à me relever.
Mon cœur continue de fonctionner correctement mais ce qui inquiète les médecins est mon manque de parole. Le docteur a proposé hier à mes parents que je vois un psychologue pour établir le problème. Le couple a bien sûr accepté. C'est ainsi que je me retrouve dans la salle d'attente avant mon rendez-vous. Il n'y a personne mais le silence me fait du bien.
Soudain la porte s'ouvre sur une femme, de petite taille, en blouse blanche. Elle me fait un grand sourire et m'invite à rentrer dans son bureau. Je m'assois face à elle et la doctoresse me dévisage longuement.
- Tu es Elma c'est ça ? Dit-elle soudainement en ouvrant un dossier, le mien.
Je vois ses yeux s'ouvrirent en grand quand elle parcourt les rapports d'opération.
- C'est donc toi la miraculée. Finit-elle par murmurer en levant ses yeux vers moi.
Je hoche timidement de la tête puis le médecin continue.
- Ton médecin m'a expliqué que tu ne parle pas.
Je fuis son regard quand je sens le sien brûler ma peau.
- Je ne vais pas te forcer à parler, si tu n'en pas envie. Je suis là pour t'écouter mais sache que la parole n'est pas le seul moyen de communication.
Elle pousse un carnet devant moi, accompagné d'un stylo. Je l'ouvre et découvre une page blanche. Je lève ma tête vers elle et vois qu'elle me sourit. Cette femme a une aura autour d'elle qui provoque de l'assurance et de l'apaisement. Pourtant elle le sait autant que moi, je ne parlerais pas. Je prends le crayon en main et commence à rédiger quelques mots. Je lui montre et elle acquiert.
- C'est normal que tu n'y arrives pas avec ce que tu as vécu, il te faut du temps.
Je reprends le carnet en main et lui montre ma deuxième question.
- Je ne peux pas dire combien de temps cela prendra. Me répond-t-elle calmement.
Mon visage se ferme et mes poings se serrent. Ce sera toujours comme cela ? A chaque fois que je serais près du but, je tomberais de plus bas. La femme pose sa paume sur mon bras et ajoute avec un sourire.
- Je ne suis pas celle qu'il te faut Elma. Tu as besoin d'une personne avec qui tu te sens bien, avec qui tu as confiance.
Je ne comprends pas, c'est son métier, elle doit m'aider. Je prends violemment le stylo et gribouille. Quand elle voit mon écriture, le médecin me regarde tristement et me dit.
- Ton cœur n'est pas détruit Elma, il est juste endommagé. Pour le réparer tu dois trouver la bonne personne, celle qui sera t'aimer, telle que tu es.
Ces mots ne me font pas de la peine, ils sont signe d'espoir et de victoire. Je sors de son bureau après l'avoir salué. Je marche dans le couloir en direction de ma chambre. Il doit être seize de l'après-midi, mes parents sont partis avant mon rendez-vous, je suis donc seule jusqu'à ce soir.
Je passe devant la salle de rééducation et m'arrête quelques instants. Les souvenirs entrent dans ma tête et les sensations les accompagnent. Le toucher, l'odeur, la vue, manquerait-il le goût ? Cette pensée surprenante me fait réagir et je me trouve bête de penser cela. Je compte reprendre ma route quand une voix m'interpelle.
- Tu comptes encore te laisser tomber ?
Je me retourne et découvre Rowen qui marche tranquillement jusqu'à moi. Il enchaîne sa remarque cinglante.
- Fais gaffe je ne suis pas sûr de pouvoir te rattraper cette fois.
Sa phrase fait apparaître un petit sourire sur mes lèvres tandis qu'il s'approche de la porte menant à la salle. Il l'ouvre et entre à l'intérieur. Pensant que l'échange est terminé je décide de continuer mon chemin. Pourtant le son de sa voix interrompt mes mouvements.
- T'es sérieuse ? Si je tombe ce sera de ta faute.
Je fais demi-tour pour le voir accroché aux barres parallèles. Je décide d'entrer dans la pièce et de marcher jusqu'à lui. Rowen pose difficilement un pied devant l'autre. Je reste à sa gauche en silence. Arrivé au bout il souffle un grand coup.
- Pas pratique de marcher avec une jambe hein ?
Je baisse les yeux, dépassée par la situation. La pièce est vide pourtant l'air est lourd.
- T'inquiète, je me fou du jugement des autres donc tu peux relever la tête.
Il s'assoit sur une chaise installée sur le côté et en tire une pour moi.
- Même mes parents ne l'acceptent pas. Ajoute-t-il en murmurant pour lui.
J'arrive à sa hauteur mais ne relève pas sa phrase remplie de sous-entendu.
- Ce qui est pratique avec toi, c'est qu'on peut dire n'importe quoi tu ne diras rien.
Je le fixe et cela semble le faire rire.
- D'ailleurs pourquoi tu ne parles pas ? Tu es muette ?
Je hoche négativement de la tête et un silence s'installe. Mon regard se dirige vers sa jambe avec un bout manquant et des questions affluent dans mon cerveau. Je voudrais comprendre comment il s'est fait cela, si cela lui fait mal. Mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
- Tu t'en souviens n'est-ce pas ?
Sa question me prend au dépourvu. Rowen parle du jour où il est venu me voir, celui où je me suis réveillée. Que dois-je lui répondre ? Je hoche timidement de la tête avant qu'un élément attire mon attention. Une cicatrice. Elle se trouve sur son moignon et elle m'intrigue. Sans réfléchir, je pose ma main dessus et mes doigts entrent en contact avec la peau de Rowen. Je prends conscience de mon geste quand je sens des frissons parcourir son épiderme.
Je retire vivement ma main, affolée et me lève brusquement de mon siège. Je m'apprête à prendre mes béquilles et à partir quand je sens une main attraper la mienne. Je me tourne vers le jeune homme qui me lance un regard de détresse.
- Reste.
Ce seul mot éveille en moi des sensations que je n'ai jamais perçues auparavant. Je reviens à ma place tout en gardant mes yeux vers le sol.
- Où est la tienne ?
Mon cœur s'accélère à l'entente de cette question. Je pose ma main contre celle-ci, contre mon cœur. Rowen détecte mon geste et ajoute.
- Tu as eu une maladie pour qu'on t'opère à cet endroit ?
Je tourne la tête de droite à gauche alors le garçon continue.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Cette question que je n'avais pas réentendu depuis mon réveil me tétanise. Un frisson parcourt ma peau, mes muscles se contractent et mon corps se met à trembler quand les brides de souvenirs me viennent en mémoire.
Un liquide se place sur mes pupilles et je ne prends pas la peine de répondre. J'attrape en un mouvement mes béquilles et sors comme paralysée. Rowen ne m'a pas retenu, je ne lui ai pas lancé un seul regard. Il ne peut pas comprendre, il ne sait pas ce que c'est de vivre avec cette douleur. Cette douleur qui vous brûle de l'intérieur.
Pourtant, aujourd'hui il a ravivé ce feu, il a de nouveau brûlé mon cœur.
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CŒUR MORTEL
RomanceCette nuit était belle et calme. On revenait d'un repas familial sans drame. La neige reposait sur le bitume. La lune était présente sans amertume. Mes parents étaient à mes côtés. Personne ne prévoyait un danger. Cette nuit, ma joie s'est évaporée...