Musique : Agalloch - Our Fortress is Burning
En la reconnaissant, le garde qui surveillait les portes du château fit tomber son regard et nous laissa passer sans broncher. Nous nous retrouvâmes à déambuler dans Starv en pleine nuit. Les rues étaient désertées et seul quelques gardes patrouillaient encore torche à la main. Aucun ne tenta de nous arrêter, j'ignorais quel était le statut de cette femme mais sa bénédiction divine semblait lui ouvrir toutes les portes. Nous finîmes par atteindre une nouvelle fortification dans un silence religieux. Le garde baissa la tête respectueusement et déverrouilla la grande porte pour nous laisser entrer. Une fois à l'intérieur une vaste étendue boisée nous attendait entourée par de hauts murs. Il faisait trop sombre pour en voir la silhouette mais je devinais la présence de l'arbre Nikolas dans ce jardin protégé des curieux comme un trésor. Elle m'entraîna dans les bois jusqu'à ce que l'entrée disparaisse dans les ténèbres derrière nous et se remit à parler.
- J'ai toujours aimé cet endroit. Je viens ici depuis mon plus jeune âge, et encore plus depuis que j'ai le privilège de venir à toute heure de la journée et de la nuit. Sais-tu ce qui se cache dans cette forêt ?
- Nikolas. Murmurais-je.
- Oui. Les gens d'ici vénèrent cet arbre et pensent que ses racines s'étendent jusqu'au royaume des morts. Ils viennent ici pour déposer une prière à leurs ancêtres et leurs proches disparus prématurément. Y-a-t-il quelqu'un qui t'attende dans l'au-delà ?
- Oui... Dis-je pensif.
J'avais laissé bien trop de gens derrière moi. Ils avaient péris et j'avais survécus. Désormais ils vivaient leur seconde vie aux côtés de créatures fantastiques. Lorsqu'enfin une immense forme se dessina entre les troncs frêles d'arbres centenaires, toute mon attention s'y porta. Il était plus massif qu'une tour de donjon. Je sentais ses racines déformer le sol sous mes pieds et palpiter de vie. Quel prodige remarquable avait-il permit à un tel être de grandir autant ?
- Je m'appelle Natalya. Dit-elle en me tendant la main.
Je fis tomber un genou à terre et baissait la tête.
- Lève-toi.
Je m'exécutais et elle saisit ma main. Je me mis à scruter les alentours compulsivement. Si quelqu'un me voyait faire cela on me châtierait assurément. Jamais un homme de mon espèce ne devait toucher une noble.
- Je suis... Alexei. Finis-je par dire.
- Bien. Enchantée ! Ne t'en fais pas ces lieux sont gardés et personne ne viendra.
- Pourquoi... ? Pourquoi m'amener ici ?
- Le sais-tu ? Le Tsar Ivan se meurt. Selon les maîtres il n'en aurait plus que pour quelques mois.
- Non, je ne le savais pas.
- Les rumeurs ont déjà commencé à courir. Mais il y a autre chose. Son héritier, le Tsarevitch Arnold, celui qui accédera au trône de l'empire entier. Personne ne doit le savoir mais, c'est un batard de la duchesse. Il n'a aucun droit d'accession !
La panique m'envahit tout à coup. J'étais suffisamment intelligent pour comprendre que ce genre d'information était autrement plus dangereuse que n'importe quelle prime sur ma tête. Que ce soit vrai ou non, ou pouvait me tuer pour cela et personne n'en ferait grand bruit puisque je n'étais qu'un chien.
- Pourquoi me dire une chose pareille !? M'égosillais-je.
- Parce que j'ai besoin de toi Alexei. Je suis désolé mais maintenant que tu sais cela, tu ne peux plus revenir en arrière.
Non... Elle venait de me piéger. Désormais n'importe quel magicien pourrait arracher cette information de ma conscience et ainsi prouver que j'étais dangereux. Une telle information pouvait faire basculer le pays dans une guerre interne par le soulèvement d'une partie des nobles. Je ne voulais pas être mêlé à tout cela, et pourtant elle venait de m'enchaîner à ce destin. L'épée de Damoclès était au-dessus de ma tête et elle tenait la poignée. Je me laissais choir à même le sol sous le poids qui venait de s'écraser sur mes épaules.
- Pourquoi moi ? Bégayais-je.
- Vetrov m'a dit d'où tu venais et ce dont tu étais capable. Tu as une bonne raison de quitter le chenil. J'ai entendu parler du massacre de ton village dans les montagnes noires. Si tu m'apporte ton aide, je t'aiderais à mon tour à trouver le responsable.
- Je...
- Je ne te laisse pas vraiment le choix. Pardonne moi de te lier à un destin que tu n'a pas voulu. Je suis vraiment désolée Alexei, que tu me crois ou non. Mais tu n'a pas le choix.
- Que voulez-vous que je fasse. Repris-je alors avec résignation.
- Personne d'autre que toi et moi ne sera au courant de notre arrangement. Dans deux jours vous partirez pour l'Ouest pour traquer les tribus Olavéennes. Je ferais en sorte que tu sois détaché dans un groupe d'éclaireurs qui ont plus de liberté de mouvement. Je veux que tu profites de cette liberté pour tuer Vazek Kobyla, un officier qui commandera toute ta faction.
- Un officier !?
- Tu feras en sorte qu'on croit à un assassin Olavéen. Tu veux connaître mes raisons ?
- Je préfère ne rien savoir. Sifflais-je.
- Bien, je te fais confiance. Bien entendu mon nom ne doit jamais être prononcé et si tu échoue je nierais t'avoir parlé. Mon destin est entre tes mains Alexei, ne me déçoit pas.
Je restais abasourdi par ce qu'elle venait de me dire tout en tachant de ne rien oublier de cette scène. Si je devais m'en rappeler, autant avoir toutes les cartes en main. Lorsqu'elle s'adressait à moi, son visage n'exprimait pas le même dégout que les soldats ou les habitants. Elle semblait profondément honnête me disait qu'elle me faisait confiance et remettait son destin entre mes mains. Ce qui ne manqua pas de m'effrayer encore plus quand à la mission qu'elle venait de me confier. J'allais devoir me battre pour ma propre survie, pour le Tsar mais par-dessus-tout pour cette femme choisie par Zorya, les Aurores.
- Allons-y. La sécurité du chenil n'est pas spécialement élevée. Mais si tu n'es pas dans ta cellule avant le lever du jour, ils t'exécuteront en utilisant le tatouage que tu as dans le dos.
Ainsi, sans un mot nous revînmes sur nos pas. Cette forêt plongée dans le noir me paraissait bien calme désormais. Seule la fine couche de neige qui s'écrasait sous nos pas et les légers cliquetis de l'armure argentée brisaient l'immensité. J'avais la sensation de me retrouver plus seul encore que face à ces geôles. Mes émotions s'étaient tues comme la faim nous quitte en tuant. Dans deux jours on nous emmènerait vers l'Ouest. En plus d'éviter la mort, je devais désormais accomplir une mission. Si cet homme revenait autrement qu'entre quatre planches, Natalya la fille de l'Aurore ne me le pardonnerait pas. J'en étais certain.
Elle me quitta une fois devant le chenil et le garde me jeta un regard mauvais avant de m'emporter jusqu'à ma cellule pour m'y enfermer. J'avais la sensation que la nuit serrait courte... Les hommes qui nous avaient laissé passer ce soir étaient probablement ses complices ou des genres de fidèles. Elle était donc parfaitement en sécurité quant à notre entrevue dans la forêt de Nikolas. Que cherchait-elle à faire en abattant ce Vazek Kobyla ? Je n'avais jamais entendu ce nom. Probablement un nouveau seigneur ayant obtenu une place dans l'armée. J'avais le sentiment qu'une affaire ayant bien plus d'ampleur que ce que je ne pouvais voir se tramait et je n'étais pas certain de vouloir en savoir plus. Qui aurait cru que l'ambiance à la cour était à couteaux tirés ? Je n'étais pas de ceux qui complotent, c'est sans doute pour cela qu'elle m'avait choisi. Mon peuple avait toujours été fidèle à la couronne. Mon père m'avait dit qu'un jour je deviendrais chasseur impérial. Ma famille semblait fournir des gardes-chasse au Tsar depuis des générations. Si je coopérais avec Natalya, elle m'aiderait à retrouver ceux qui avaient exterminé les miens. C'était là tout ce qui comptait.

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Copper Coin
Fantasy"Regarde moi, et dis-moi quel espoir en toi n'est pas mort ?" Seul l'hiver m'est tendre et seule la mort réchauffe ma couche. Je combattrais le Peuple Gris au Nord, les éleveurs de bêtes du Sud et tout être que les dieux mettront sur ma route. Pour...