16. Le creuset du Silence

16 2 6
                                    


Musique : Nick Johnston - In the mouth of the Wolf


   Atteindre Trigislavit. Voilà quel était notre objectif. Et c'était là tout ce qui importait maintenant. Ce qu'on y ferait, on en reparlerait une fois la ville en vue. J'avoue que chevaucher face au vent glacial était sans doute une sensation grisante qui pendant un temps m'avait traversé l'esprit. Mais bien entendu, aucun d'entre nous à l'exception de Solomone ne savait monter. Faire le voyage à cheval était hors de question car apprendre à contrôler des montures en une saison où sortir de l'étable les rendait déjà nerveuses était une fantaisie. De plus, ces animaux étaient presque sacrés à Starv car l'empire en avait assez peu en comparaison des provinces du Sud. En confier à une bande de va-nu-pieds comme nous, peu importe notre clan, c'était du jamais vu. Nous ferions donc la route à pieds ce qui ne me déplaisait pas. Les chevaux étaient des bêtes du Sud, en ces contrées elles paniquaient à l'approche de monstres. Sans parler de la discrétion de l'animal.

   Les choses les plus à craindre en dehors des murs nous rattraperaient aisément même sur des montures. J'avais aussi besoin de me dégourdir les jambes après tout ce temps enfermé en ville. Natalya Iegorov n'était pas folle au point de nous fournir des chevaux, mais elle n'était pas un monstre au point de nous laisser sortir sans appui. Un groupe de cinq, ça demandait des vivres, du matériel pour camper sans parler des armes. On nous avait donc fait don d'un Bynya. L'une des rares espèces animales pouvant être élevées même en hiver. Nous en avions quelques-uns à Orga et ils étaient notre seule subsistance lorsque la chasse était infructueuse. De larges bêtes bourrue à la fourrure épaisse et chaude. Alliée à leurs épais sabots cette dernière leur permettait de marcher très longtemps dans la neige jusqu'à des températures terrifiantes sans risquer la moindre engelure. Leur face au museau peu proéminent laissait toujours transparaître une profonde lassitude comme le regard d'un vieux chat. Ces bêtes à peine plus imposant qu'un cheval mais bien plus massives donnaient une laine épaisse, peu noble mais particulièrement chaude qui repoussait très vite. Les femelles aux cornes plus courtes donnaient aussi du lait au gout infect mais pouvant vous sauver la peau en cas de famine. De plus, les Bynya étaient souvent utilisés comme bêtes de somme. En un mot c'était le parfait compagnon de qui veut affronter l'hiver. Par usage, on lui attachait une luge qu'il traînait pour y transporter le matériel lourd. Nous ne dérogeâmes pas à la tradition.

   L'animal nous permettait de transporter notre barda, faisait une excellente source de chaleur et de nourriture en cas de problème. Il pourrait même faire office de repas à un prédateur en nous permettant de fuir. Ce n'était sans doute pas grand-chose pour eux, mais le clan Iegorov nous avait fait le plus grand des présents qui soit pour une expédition en dehors des murs de la cité. Trigislavit était à huit jours de marche, autrement dit une éternité. Avant de partir j'avais demandé quelques denrées bien spéciales avec les vivres. J'avais même dû revoir cette charogne de mage dans sa cabane puante pour obtenir certains ingrédients. Par chance il possédait de l'humus d'ogroïde concentré. De la terre ramassée près de la grotte d'un Ogre et ayant accumulé du souffre. L'odeur permettait d'éloigner certains prédateurs et camouflait notre présence aux yeux des autres. Ça ne suffirait pas à nous dissimuler totalement mais c'était déjà ça de prit. J'avais également obtenu des apothicaires de Starv de l'essence d'Aconit, du mercure et du venin de poisson-lion pour empoisonner mes dagues et mes flèches. Mieux valait éviter de s'attarder à chasser, le protectorat des boucliers cardinaux n'avait plus aucune valeur désormais. Nous étions seuls.

   Le groupe s'habitua rapidement à la température glaciale. Les artisans Starvois fabriquaient de merveilleux vêtement contre le froid, je ne pouvais pas le leur enlever. La première lieue, Vlad continua à discutailler de choses inutiles et à poser des questions sur notre destination. Mais lorsque la capitale ne fut plus en vue, et que ne s'étendaient plus que l'immensité immaculée un calme mortel tomba. Ne laissant plus que le son de nos bottes s'enfonçant dans la neige et les légers renâclements du Bynya. J'entendais mon cœur battre dans ma cage thoracique face aux efforts de la marche. Mes yeux quant à eux étaient rivés sur les bois qui devenaient de plus en plus denses et bordaient le chemin. Les squelettes de bois pétrifiés semblaient cacher de terribles secrets. La neige absorbait les sons et nous plongeait dans un silence amplifiant chaque petit bruit. Il nous semblait entendre des bêtes rôder derrière chaque arbre. La neige ne semblait pas vouloir cesser de tomber. Il n'y avait même pas un empan d'épaisseur pour l'instant. Mais si le ciel continuait de faire pleuvoir les flocons cotonneux, demain les routes serraient bien moins praticables.

Copper CoinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant