Sous la lumière naissante du soleil encore bien pâle, les bois à l'Est se dévoilèrent en vomissant des volutes de brumes sinistres. Comme pour nous appeler à elle... Nous étions alignés, là dans cette clairière tout prêt de la frontière alors qu'à quelques lieues campaient des tribus Olavéennes préparant notre mort. Nous montrer utiles à l'empire était désormais le seul et unique moyen de survivre. Lorsque Vetrov et l'autre chevalier vinrent à nous avec une escorte d'écuyers et de fantassins, nous n'étions plus que sept et les autres me jetaient des regards assassins. Le chevalier fit des allers-venus entre ma tunique tachée de sang et le cadavre froid qui traînait devant ma tente. Il ne dit rien et se contenta d'un simple regard méprisant. Nos vies n'avaient pas plus de valeur que cela. Il fit un geste et on déposa devant nous des épées courtes de chasseurs, des couteaux de chasse, des sacs de toile avec une outre et une miche de pain ainsi qu'une vielle cape de coton pour nous protéger la nuit.
Pas d'arc ou de flèches malheureusement... Pas le choix j'allais devoir faire avec. J'enfilais la cape et attachais l'épée et le couteau à ma ceinture avant de mettre le sac sur mon dos. Tout ça m'alourdissait beaucoup trop. J'allais avoir du mal à semer les autres condamnés comme ça. Mais peu importait il fallait que je me débrouille avec ça. L'escorte nous mena jusqu'aux bois et nous accompagna pour les traverser. Une fois à l'orée de la forêt, nous nous retrouvâmes face à la rivière. Le courant était plutôt fort. La traversée allait être épuisante. Les soldats restèrent à l'abris des arbres et nous intimèrent d'avancer en nous menaçant de leurs armes. Alors nous descendîmes sur la berge. Chiche et Charbonnier se jetèrent en premiers à l'eau et se mirent à avancer à bon rythme. Ils avaient pieds et l'eau arrivait un peu au-dessous de leurs bras. Moi j'étais plus petit et donc j'allais devoir nager. Le dernier condamné se mit à l'eau en soufflant comme un bœuf au contact du liquide glacé. Je jetais un dernier regard en arrière et on me cria d'avancer.
Je détachais l'épée de ma ceinture et l'abandonnait sur la berge avant de plonger à mon tour. Mais plutôt que de tenter de traverser je me laissais porter par le courant et employait toute mon énergie à rester à flots. J'avais déjà nagé dans des lacs gelés de montagne alors ce n'était pas la mer à boire. Une fois suffisamment loin je commençais à me diriger lentement vers l'autre rive jusqu'à trouver un rocher auquel m'agripper et après un long effort je finis par retrouver la terre ferme. La petite baignade m'avait vidé de mes forces, j'étais à bout de souffle et le froid commençait à mordre dangereusement dans ma chair. Après une minute je me remis sur mes jambes et passait mon sac contre ma poitrine pour la couvrir du vent. J'en tirais la miche de main qui avait bien entendu prit l'eau et la jetais au sol. Ils nous l'avaient donnée pour la forme mais savaient qu'elle ne nous serait d'aucune aide. Je relevais la tête et un trait fendit l'air pour se loger dans mon sac en me faisant tomber en arrière. Une longue flèche de chasse venait de se planter dans mon sac et probablement de se loger dans mon outre. Je me remis sur mes jambes et couru de toutes mes forces en entendant les projectiles siffler près de moi.
Je m'enfonçais alors dans la forêt en cherchant les parties les plus denses pour m'abriter. Je n'avais pas entendu la corde se relâcher, il devait donc être assez loin ce qui en faisait un excellent tireur. Rapidement les tirs cessèrent car j'étais passé hors de portée. Continuer d'attaquer en me pourchassant était un gâchis de munitions et il le savait. Considérant qu'il m'avait perdu de vue, je commençais à brouiller les pistes en faisant des détours avant de revenir sur mes pas. J'avais appris à me déplacer sans laisser de trace et sans laisser échapper le moindre son. Par chance, les semelles lassées étaient relativement silencieuses. J'avais froid et j'étais encore mouillé mais je ne pouvais pas me permettre d'allumer un feu. Semer un chasseur était un jeu d'enfant pour moi, mais ce que je voulais était bien plus osé que cela. Après avoir attendu suffisamment longtemps en tremblant avec mon couteau de chasse à la main, je me mis à chercher des traces de son passage. Je compris rapidement qu'il avait abandonné en perdant ma trace. Cela ne pouvait signifier que deux choses : ou bien il était stupide, ou bien il cherchait à éviter de s'éloigner de son campement plus que nécessaire. Je misais pour la seconde hypothèse et remontait sa piste jusqu'à atteindre une colline rocailleuse. Leur campement était très certainement dans les parages.
Impossible de les attaquer de front, surtout en ignorant leur nombre et leur armement. Je m'éloignais donc volontairement et commençait à chercher dans les bois. Je mastiquais des feuilles pour tromper ma faim et examinait chaque bosquet. Après une petite heure je trouvais une tige de cinq pieds de haut glabre et portant de petites taches pourpres caractéristiques. De la cigüe. En fouillant les feuilles et les bosquets alentours je découvris par chance des fruits de couleur verte que je cueilli et glissais dans mon sac. En rodant je tombais également sur des Morelles noires que je cueillis à leur tour. J'écrasais le tout sur une pierre et le glissait dans mon outre à moitié vidée dans mon sac en prenant soin de ne pas renverser le contenu par le trou que le flèche avait percé. J'avais terminé.
Maintenant je n'avais plus qu'à attendre. Je cherchais un coin au sec et y déposais mes affaires avant d'ôter ma cape et ma tunique encore rougie de sang pour les laisser sécher sur une branche. Je m'écrasais ensuite entre deux rocs à l'abris du vent en contrôlant ma respiration pour éviter de perdre connaissance. Le froid était intense alors que le soleil tombait sur l'horizon. J'avais passé la journée dans la forêt. Les quelques gorgées d'eau que j'avais bu avant de contaminer mon outre ne me permettraient pas de tenir plus d'une journée de plus. Cette nuit je jouerais le tout pour le tout. Finalement mes tremblements se calmèrent une fois l'humidité disparue et je pu réenfiler ma tunique et ma cape. Je ne trouverais pas de fruits comestibles dans ces bois hostiles et je n'avais pas le luxe de chasser quoi que ce soit. Il fallait que je gagne du temps.
Une fois le soleil totalement couché je me remis en route. Marcher en forêt de nuit était extrêmement dangereux mais mon père m'avait élevé pour devenir chasseur impérial. Alors je ne faisais pas grand cas de ce genre de désagréments. Une fois suffisamment proche je trouvais ce que j'avais cherché. Un fin fumet de viande cuite très léger qui flottait dans l'air. Je suivais l'odeur au juger jusqu'à apercevoir une lueur vacillante dans l'obscurité : le campement. Je me rapprochais à pas feutrés si bien que traverser les quelques cent coudées qui me séparaient d'eux me prit une petite heure. Je m'approchais encore en contrôlant chacun de mes gestes jusqu'à me trouver à moins de vingt pas d'une de leurs tentes. Je m'allongeais là, au sol au couvert de taillis épais et ouvrit grand mes oreilles. Ils mangeaient, probablement du lièvre que le chasseur avait attrapé. J'en comptais cinq et ils parlaient tous une autre langue. Après quelques longues heures d'attente les voix s'éteignirent pour laisser place aux froissements des toiles.
Ils étaient parti dormir plus tôt que je ne l'espérais. Mais je ne bougeais pas pour autant. Car l'un d'entre eux était assurément resté pour monter la garde. Je restais donc immobile pendant encore quelques temps et une fois l'atmosphère parfaitement calme je me glissais lentement vers eux en tuant mon propre cœur. Si j'étais repéré je n'aurais aucune chance. Une fois que je pu apercevoir vaguement l'homme encore debout je me remis à attendre, prêt à bouger et luttant contre ma propre fatigue. C'est alors que l'occasion enfin attendue se manifesta. L'homme se leva et tituba vers les bois pour assouvir des besoins naturels. Je me dressais comme un serpent hors de ma cachette et me glissais dans le camp sans émettre le moindre son, mon outre à la main. Je trouvais rapidement ce que je cherchais du regard : leurs outres. Je les ouvris une à une avec une dextérité parfaite et y versait quelques gorgées de la mienne avant de les remettre en place. Mais déjà les pas de l'Olavéens revenaient par ici. Toujours baissé je me fondis de nouveau dans l'obscurité en comptant sur les flammes et la fatigue qui aveuglaient légèrement le guetteur.
Mon méfait accompli, je m'éloignais comme j'étais venu et ne m'arrêtais pas avant que l'odeur du feu n'ai disparue. Je m'effondrais alors derrière un rocher et fermait les yeux avec le sac contre ma poitrine pour me tenir chaud. Je m'endormis en quelques instants, bercé par les bruissements familiers de la forêt.
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Copper Coin
Fantasy"Regarde moi, et dis-moi quel espoir en toi n'est pas mort ?" Seul l'hiver m'est tendre et seule la mort réchauffe ma couche. Je combattrais le Peuple Gris au Nord, les éleveurs de bêtes du Sud et tout être que les dieux mettront sur ma route. Pour...