- Regardez-le ce tas de merde ! Grommela un chien au visage noirci de terre et de crasse. Toi mon garçon tu vas crever à la première bataille hahaha !
- Vous avez vu un peu comme il s'est fait rétamer chaque jour par de pauv' gardes ! Même l'écuyer d'un chevalier lui a collé le nez dans le fumier !
Je restais le regard baissé avec ma pièce de cuivre entre les mains. Nous étions huit dans une cage à peine plus grande que celle que j'avais connue pendant mon transport. Cette fois nos mains étaient bien moins libres et j'en étais ravi au vu des engeances qui partageaient ma geôle. Des tueurs et des violeurs pour la plupart. J'avais été séparé des Leprechaun dès notre arrivée à Starv. J'avais décidé de ne pas considérer ces types comme des humains pour faciliter nos rapports. Je leur avais ainsi donné de nouveaux noms. A défaut de retenir les vrais, ceux-là leur allaient comme un gant. Pouilleux était un maigrichon à l'œil poché qui ne cessait de gratter son crâne et d'en ressortir des ongles noirs de sang coagulé. Oignon partageait la même haleine que les chevaux crevés. Grumeau était le genre de type à provoquer les conflits en permanence, celui qui cherchait la moindre occasion de jouer des poings et transformait une pâte fade en un fluide visqueux et écœurant. La cervelle de Chiche avait en commun sa taille avec le pois. Je n'avais pas spécialement besoin de décrire Boiteux, sa démarche parlait pour lui. Charbonnier semblait après quatre jour de voyage devenu le chef de la bande. La couleur de ses dents me faisait sérieusement penser qu'il avait plus en commun avec une chaufferie qu'avec un humain tout chien qu'il était. Quand à Galet il était oubliable, lisse et stupide, comme un galet...
C'était mon groupe, ma « meute » comme ils nous appelaient. Il y avait quatre autres groupes similaires tous envoyés à l'Ouest au même moment. Après quatre jours de voyage j'avais fini par me faire à leur compagnie en les ignorants totalement, eux et leurs insultes continues. Mes fameuses semelles lassées offertes par Vetrov faisaient également de moi la cible d'une haine unanime dans la cage. La moitié d'entre nous allions probablement mourir très vite de toute manière. Je passais donc mon temps à faire danser ma pièce entre mes doigts et à la frotter contre le fer de mes chaînes. Je consacrais toute mon énergie à réfléchir à ce qui s'était passé avant notre départ. J'étais totalement pris au piège. Si je m'échappais, j'étais mort, si je tombais au combat, idem. Si je revenais sans que la tête de Kobyla ne soit tombée, c'est la mienne qui roulerait sous les bottes de Natalya. J'ignorais totalement comment était prévue notre « utilisation » une fois la frontière franchie et je ne savais même pas à quoi ressemblait cet homme. Mais je n'allais pas tarder à le savoir car notre destination approchait. Après une semaine de voyage nous atteignîmes enfin le campement de l'arrière-garde frontalière. Ici il ne neigeait pas encore. Les vents du Sud se frayaient un chemin jusqu'à cette région et retardaient l'arrivée de l'hiver.
On nous fit sortir de cage et un palefrenier nous donna de l'eau et une gamelle chaude. Peu de temps après un homme à la tunique cousue de gravures d'argent représentants des lions s'approcha avec deux chevaliers. Celui de droite était Vetrov et j'avais aperçu l'autre à Starv pendant nos séances « d'entraînement ». Le noble qui portait une moustache et des cheveux courts s'approcha et posa un regard suspicieux sur nous.
- Regardez votre commandant bande de chiens ! Hurla le chevalier dont j'ignorais le nom.
Les autres levèrent le nez de leur soupé et le noble se mit à parler.
- Messieurs je suis le seigneur Vazek Kobyla. Souffla-t-il, obtenant ainsi toute mon attention. Je commande le condottiere ici. Ce qui va vous arriver est très simple. Derrière ces bois à ma gauche coule la rivière Hylek. Elle marque la frontière entre l'empire et les régions sans souveraineté d'Olaf. Demain matin à l'aube vous partirez pour traverser la rivière pendant que nous menons une attaque plus au Nord. Vous aurez alors trois jours pour effectuer des missions de sabotage et tuer autant d'Olavéens que possible. Ils se terrent dans des campements restreints disséminés un peu partout. A vous de les trouver. Si vous en tuez-un, vous lui couper l'oreille gauche pour preuve. Si vous n'êtes pas revenu dans trois jours ou que vous revenez les mains vides, vous serez exécutés à l'aide de vos tatouages. Ce sera tout. S'arrêta-t-il alors que je terminais de graver son visage et sa voix dans ma mémoire.
Il tourna les talons laissant les deux chevaliers devant nous.
- A votre départ on vous donnera des vivres et de quoi vous battre. Dit négligemment Vetrov. Il me lança un dernier regard avant de disparaître à son tour.
C'était parfait. Une liberté de mouvement totale, j'avais donc toutes les cartes en main pour m'en sortir. Le premier problème allait être de m'éloigner de cette bande de cinglés. Probablement en guise de cadeau d'adieu on nous permit de dormir sur un drap avec une véritable couverture. Nos couches étaient situées à l'extrémité Est du campement, loin du centre de commandement et entouré des zones surveillées jour et nuit. Le chevalier en nous amenant à nos tentes avait précisé que ces mêmes draps serraient nos sacs mortuaires si on essayait de s'échapper pendant la nuit. Inutile de le dire, tout le monde, même Chiche avait compris que mettre en pied en dehors du rang signifierait notre mort instantanée. Je m'étalais donc de tout mon long sur le maigre drap en ignorant les pierres juste en dessous de ce dernier et tâchais de fermer les yeux. Je n'aurais peut-être plus l'occasion de dormir avant trois jours. Malheureusement après quelque heures et alors que le sommeil peinait à me trouver, je sentis un rat se glisser vers moi. Un rat particulièrement odorant et à la respiration si lourde que personne n'aurait pu être surpris par une telle attaque.
A l'odeur, je reconnaissais Oignon probablement envoyé par un des autres pour m'étrangler dans mon sommeil et récupérer mes semelles. Je fis semblant de dormir en empêchant mon cœur de s'extirper de ma poitrine. J'étais incroyablement faible en duel à l'épée, mais cela ne signifiait pas que je crèverais si facilement. Je fis glisser ma pièce entre mes doigts en cherchant à tâtons la tranche que j'avais consciencieusement aiguisée contre le fer de ma prison depuis Sliva. Lorsqu'il se dressa au-dessus de moi, les mains en avant je me dressais comme un diable en saisissant la chaîne qui reliait ses mains et qu'il avait pris soin de ne pas faire tinter. Je glissais mon autre main derrière sa garde et enfonçait du pouce la pièce de cuivre dans sa gorge à l'aveugle. Une fois que je sentis la chair se déchirer j'attrapais le bord de l'écu pour l'arracher de sa prison en élargissant la plaie jusqu'à la nuque. Je sentis un liquide brûlant couler entre mes doigts et sur mon visage tandis qu'il laissait échapper des hoquets noyés et me repoussais pour s'enfuir. Je profitais de sa panique pour sauter sur lui et l'agripper de toutes mes forces en l'entourant de mes bras enchaînés.
Il était trop grand, trop fort et m'envoyait des coups de coudes dans les côtes. Je glissais alors sur son flanc et me mit à zébrer son aisselle opposée avec la pièce. Une fois face et lui j'étais trop près pour qu'il me frappe. Il ne pouvait que continuer de se vider de son sang mais je ne m'arrêtais pas pour autant de taillader chaque soupçon de peau que je rencontrais. « Hors de question que je crève ici et comme ça » me hurlais-je à moi-même en serrant les dents de rage. Enfin, il cessa de bouger et je pu me dégager et reprendre mon souffle. Mes muscles étaient en feu, mais j'avais gagné. Je repris mon souffle avant d'essuyer mon visage encore couvert de sang chaud avec ma couverture. Ce n'est qu'une fois son dernier souffle envolé que je pu trouver le sommeil après avoir poussé son corps hors de ma minuscule tente de fortune.
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Copper Coin
Fantasia"Regarde moi, et dis-moi quel espoir en toi n'est pas mort ?" Seul l'hiver m'est tendre et seule la mort réchauffe ma couche. Je combattrais le Peuple Gris au Nord, les éleveurs de bêtes du Sud et tout être que les dieux mettront sur ma route. Pour...