3. Œil d'argent

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   Cette nuit fut encore plus froide que la précédente. Du moins, le vent fut plus tranchant et plus pénétrant que jamais. Il s'infiltrait insidieusement entre les barreaux de la cage et nous poignardait à travers les maigres draps de laine. Cela me rappelait bien des souvenirs. Lorsque nous nous blottissions les uns contre les autres pour survivre aux températures extrêmes faute de savoir faire du feu. Cela n'était rien, c'était même plutôt reposant de sentir que mon corps était encore en vie, qu'il luttait encore pour survivre alors que moi-même je n'en faisais pas grand cas. Ce qui m'empêchait de dormir ce n'était ni le sifflement du vent, ni les renâclements des chevaux, ni la jalousie quand aux chevaliers qui dormaient à tour de rôle dans des tentes près d'un feu. Non, ce qui m'empêchait de fermer l'œil était les gémissements de la petite Leprechaune qui souffrait du froid plus que quiconque ici.

   Eux ne me rappelaient rien d'agréable, seulement la faiblesse de ceux qui n'avaient pas survécu. Je tentais d'oublier en me concentrant sur le son de ma pièce contre l'acier des barreaux mais rien à faire. Elle continuait de geindre de douleur en sentant ses articulations geler. Je ne pouvais tout simplement pas le supporter. Elle me faisait perdre mon propre courage. Je me dressais sans un bruit dans la cage en prenant soin de ne pas faire tinter mes chaines et m'approchait de la petite boule de laine emmitouflée et tremblante. Je la fixais aux lueurs des flammes du camp avec un regard fixe et fébrile.

   -   Tu vas la tuer ? Marmonna Vlad le galeux dont l'œil brillait.

   Nous restâmes là à nous fusiller du regard sans savoir ce que l'autre avait en tête. Moi-même je ne savais pas ce que j'allais faire. Finalement il tendit un de ses longs bras en dehors du drap de laine jusqu'au corps de la fillette et glissa sa main énorme jusqu'à son cou. Je ne doutais pas un seul instant qu'il pouvait la broyer aussi facilement qu'un simple lapin. Mais au lieu de cela, il l'enserra doucement et la tira vers lui. Par réflexe elle s'enroula autour de la jambe de Vlad autant que ses chaînes le lui permettaient et finit par cesser de trembler. Je me rassis à ma place et finit par fermer les yeux sans plus réfléchir à la scène que je venais de voir.


*  *  *


   Le lendemain, la fillette offrit la moitié de son pain à Vlad le galeux qui l'engloutit en une bouchée sous le regard dédaigneux du vieillard.

   -   Je m'appelle Melty. Bafouilla-t-elle enfin entre ses mèches gelées.

   -   Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ? J'suis Vlad, lui c'est Alexei. Et toi le vieux c'est quoi ton p'tit nom ? Bah quoi t'a bouffé ta langue ?

   -   Tu aurais dû laisser Chernobog emporter la fillette. Grinça l'homme. Toi, Smesh Krov' tu dois comprendre ça hein ? Ceux qui ne peuvent pas survivre par eux-mêmes ne doivent pas être aidés.

   -   Ça me dit pas ton putain de nom vieux débris. La politesse veut qu'on rende la pareille à quelqu'un qui se présente à nous. T'a pas appris ça à Sliva ?

   -   Je ne viens pas de Sliva et je ne me présenterai pas à une sous-race.

   -   Appel-moi encore comme ça et je te ferais bouffer tes chaînes vieillard !

   -   Tu étais prêtre de la nuit n'est-ce pas ? Soufflais-je.

   -   Qu'est ce qui te fais dire ça Smesh Krov' ?

   -   Parce que je n'entends pas de mépris quand vous m'appelez-ainsi. Vous êtes bien les seuls à penser que mes yeux ne sont pas une malédiction. Et puis ça expliquerais pourquoi vous êtes là.

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