Musique : Andrei Sychra - Four Etudes : étude No. 1
Nous atteignîmes l'antre où se cachaient les démons après le lever du jour. Nous étions restés en mouvement une bonne partie de la nuit et avions résisté au froid impitoyable en nous emmitouflant dans la peau fraîchement tannée du Bynya tout en mâchant la viande qu'on avait pu en tirer. Nous ne nous pensions plus ni à la douleur ni à la fatigue. Une seule obsession morbide nous occupait l'esprit.
Une fois prêts nous approchâmes de la vulgaire fente dans la roche qui devait abriter tout un réseau de tunnel. Mon père m'avait dit que les Barbegazis n'élisaient jamais domicile dans des grottes avec plusieurs sorties, ou bien ils bloquaient toutes sauf une. Ils n'étaient pas assez organisés pour défendre plusieurs entrées mais avaient la lucidité de le comprendre. Cela les rendait d'autant plus agressifs lorsqu'ils défendaient leur trou. Pour autant, cela était à notre avantage. Après avoir abattu les démons cachés devant l'entrée, nous étalâmes le bois vert d'un grand pin et de l'écorce de bouleau. Puis nous fîmes un grand feu. Charbonnier et Solomone agitèrent des peaux pour repousser la fumée vers l'intérieur et nous nous postâmes prêts à tuer tout ce qui sortirait. Un, puis deux, puis quatre Barbegazis jaillirent en tentèrent de traverser les flammes avant de rendre leur dernier souffle. Puis plus rien. Je les fis continuer une heure entière avant d'éteindre le feu. Nous attendîmes patiemment que la fumée ne ressorte puis nous entrâmes, torches et armes au poing.
Il y avait des petits démons par dizaines. Leur bouche était noircie par la fumée mais certains agonisaient encore. La plupart avaient été pris dans leur sommeil d'où l'absence de résistance. Nous étouffâmes consciencieusement dans l'œuf chaque vie qui respirait encore dans cette caverne. Il y avait des embranchements et de profonds renfoncements où les monstres s'étaient cachés pour s'assoupir. L'odeur de la fumée prenait encore à la gorge et l'atmosphère humide de la grotte rendaient l'exploration harassante. Je crois que ce jour-là, le son des lames rouillées qui pénétraient la chair des Barbegazis à peine conscients restera à jamais gravé au fond de mon crâne. Mais le plus horrifiant se trouvait au fond de la grotte. Là-bas, se trouvait leur butin mais aussi leur « salle de jeu ». Ils y gardaient les survivants de leurs raids et en particulier les survivantes pour les mutiler et les torturer en les gardant en vie le plus longtemps possible. Des humains étaient là, probablement encore en vie il y a quelques heures de cela. Ils n'auraient de toute manière pas survécu au voyage mais c'était sans doute nous qui les avions tué en les enfumant. Leurs corps étaient couverts de plaies cautérisées à la flamme. Certaines entailles ouvertes laissaient présager des pratiques détestables des petits démons. Mutilés, amputés, les yeux broyés ou encore noyés dans leur propre merde. Je maudirais toujours l'haïssable curiosité qui nous avait poussé a les observer de près pour imaginer leurs supplices. Les femmes avaient été les cibles d'un acharnement tout particulier. Allant jusqu'à violer encore et enocre leurs restes pourrissants. Peut-être était-ce la fatigue, la haine, ou bien cette saloperie de grotte qui nous faisait examiner les cadavres de ceux que nous avions délivrés de la plus abjecte des existences.
Puis, juste derrière, Vlad trouva une cache où se trouvaient un groupe de petits qui ne devaient pas avoir plus de quelques semaines. Certains gémissaient encore fébrilement, protégés de la fumée par la barricade de bois qui les isolait. Nous ne leur montrâmes pas la moindre forme de pitié et les exterminâmes tous jusqu'au dernier. Quelques-uns d'entre eux pourraient reformer une colonie, mais ce n'était là qu'une excuse. Nous voulions surtout nous venger pour ce que nos yeux ne pourraient jamais oublier. Lorsqu'à la tombée de la nuit nous ressortîmes avec une partie de l'équipement que les démons nous avaient volés, aucun d'entre nous n'était le même. Chacun prit quelque peu ses distances pour digérer, espérant que le vent glacial laverait nos corps ensanglantés et nos yeux souillé. Vlad croqua dans un morceau de viande et mâcha bruyamment avant de tout recrache et de vomir. J'avais moi-même vu trop de sang aujourd'hui pour toucher à de la viande.
Faire de la grotte notre abris pour la nuit était la décision la plus logique. A l'abris du vent, du froids... Mais aucun d'entre nous ne souhaitait retourner dans ce gouffre. Nous montâmes un campement de fortune un peu plus haut sur la crête avec le peu de force qui nous restait. La folie meurtrière avait disparue pour laisser place à la douleur et au dégout. Après avoir allumé un feu contre une paroi de granit à l'abris du vent, nous nous affalâmes à même la neige en nous laissant étreindre par la nuit.
Je ne pouvais m'arrêter de penser. Etais-je à la place que les dieux avaient pensé pour moi ? L'hiver ne cessait de m'attirer, pourtant il ne m'inspirait que dégout et terreur. Pourquoi les hommes étaient-ils nés sur une terre qui les haïssait tant ? J'avais la sensation que l'obscurité glaciale nous engloutirait tous à la première occasion. Il faisait froid, si froid que mon propre sang formait des stalactites en suintant de ma plaie à la jambe. J'étais si seul et mon cœur battait si fort dans cette forêt maudite. Je n'entendais que les pins frissonner alors que leurs aiguilles sombres narguaient les silhouettes spectrales de l'hiver. La saison blanche n'avait que faire de leurs vies. C'était nos flammes qu'elle voulait étouffer. Des formes haïssables aux yeux d'onyx et aux griffes de pierre se tordaient entre les pins moribonds. « Que me voulez-vous ? » Osais-je leur hurler. Mais ils ne parlaient pas la langue des mortels alors ils se contentèrent de rire abominablement. Je levais les yeux vers le ciel d'où pleuvaient des flocons épais. Là-haut brillait une faible lumière entre les nuages.
Je pouvais apercevoir entre les larges rayons dorés les silhouettes des dieux qui dansaient depuis des sommets inconcevables. Jamais ils ne regardèrent vers moi et pas même leur musique ne me parvînt. Seuls les effroyables rires des Ombres hurlaient de leurs rires blafards comme on soufflerait dans des cordes vocales arrachées. Puis je me tournais vers la falaise dans mon dos, et éclairé par le faible feu du camp, un large symbole gravé dans la roche apparut. C'était celui du tatouage de servitude qui m'enchaînait aux Starvois. Puis le symbole se mit à suinter un fluide enflammé qui éclaira la montagne. Elle me parut soudain être un pic plus imposant que les plus dangereuses hauteurs des Montages Noires. Au sommet semblaient trôner d'étranges baraques de bois blanc. Je m'approchais comme attiré par la lumière et les flammes commencèrent à me consumer. Paniqué je tentais de m'éloigner et les horreurs de la nuit disparurent devant moi, comme apeurées par les braises qui m'immolaient. La chaleur du brasier était douce comparée à la brûlure glaciale de la neige. Je me laissais consumer, carboniser jusqu'à ce que mes mains ne tombent en cendres. Et alors la flamme chassa les ténèbres sur toute la forêt.
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Copper Coin
Fantasy"Regarde moi, et dis-moi quel espoir en toi n'est pas mort ?" Seul l'hiver m'est tendre et seule la mort réchauffe ma couche. Je combattrais le Peuple Gris au Nord, les éleveurs de bêtes du Sud et tout être que les dieux mettront sur ma route. Pour...