Les premières neiges m'avaient toujours fasciné. Ces petites pelotes de coton froides tombant d'un ciel gris, et changeant le paysage du tout au tout en quelques heures à peine. La couche nacrée absorbait les sons, couvrait les reliefs et effaçait toutes les couleurs. Le monde se muait alors en un quelque chose de plus terne et homogène. Tout devenait calme. Les marchés étaient désertés, les chevaux restaient dans leurs écuries et les gens au chaud devant une cheminée ou à défaut, sous des couvertures de paille. Les premières gelées emportaient toujours les vies les plus frêles avec eux. Ceux qui n'avaient pas les moyens d'échapper au froid implacable, ceux qui n'avaient pas la force de survivre aux fièvres qui allaient de pair avec cette chose immaculée.
Il venait chaque année comme pour faucher les âmes trop faibles, comme pour effacer les bouches en trop à nourrir. Là d'où je venais, on chérissait cette période car elle était une épreuve que les enfants devaient traverser par leur seule force. Survivre à l'hiver, c'était arracher une année de plus à cette terre qui réclamait nos carcasses fragiles. Je me souviens d'Erik, Martha et Clovis qui n'avaient pas survécus plus loin que leur huitième année. Emportés par la fièvre, par le froid ou par les loups affamés des montagnes. Bien d'autres hivers étaient passés depuis lors, et bien d'autres avaient disparus avalés par la saison blanche.
Aujourd'hui, comme si là-haut quelqu'un se moquait de moi, la neige avait commencé à tomber dehors. Le froid prenant avait pénétré mes os et ma chair à bout de force par chacune des plaies qui la recouvraient. J'étais plutôt heureux, moi qui pensait ne plus jamais rien ressentir. Le sang semblait avoir cessé de couler dans mes veines. Mon corps... était prêt à se déchirer. Je savourais cette sensation aussi douloureuse soit-elle comme la plus douce que je ne connaîtrai jamais. Je me mis alors à entendre des pas raisonner dans le couloir. Des bottes de cuir aux pointes de bronze. Les guerriers de Starv. Je n'eus pas la force de tourner la tête lorsque le chevalier déverrouilla la serrure et fit glisser la grille jusqu'à ce qu'elle heurte lourdement le mur de granit.
- Alexei Beregovoi ! Cracha une voix sèche. C'est l'heure, la potence attend ton cou.
Voyant que je ne réagissais pas, le soldat saisit mon bras amaigri par à peine quelques mois dans ces geôles et me traîna à l'extérieur. Le boulet à mes pieds glissait sur les dalles avec un son rauque tandis que mes bras tendus par le poids des menottes se balançaient dans le vide. Nous finîmes par atteindre le bout du couloir où la lumière aveuglante du soleil reflété par la neige me brûla les iris. On me porta jusqu'à une plateforme de bois de mauvaise facture où le frottement sur mes pieds gelés m'arrachait la peau jusqu'à un sang pourtant asséché. Le bourreau me souleva et je sentis la corde rugueuse m'enserrer le cou. Le contact des fibres piquantes me rassura en un sens et me ramena un peu à la réalité. C'était la chose la plus concrète que j'avais sentie depuis longtemps en dehors des menottes tranchantes qui marquaient un peu plus mes quatre membres chaque jour.
Etant donné mon faible poids on décida de me laisser le boulet aux chevilles afin que mon os hyoïde se brise bien et que la nuque suive le mouvement. C'était donc là que ma route s'arrêtait ? Il y avait des gens devant moi venus pour assister à l'exécution malgré le temps. Mais je m'en moquai. Ma vue était trop trouble pour les distinguer totalement et ils ne m'intéressaient pas. Je regardais le ciel et sa douce couleur grise. Ça me convenait. Mourir sous ce ciel, le même qui m'avait vu grandir, c'était parfait. C'était la fin naturelle pour un homme comme moi. Je pris une dernière bouffée d'air et me délectait encore une fois de la brûlure du froid dans mes poumons alors que le bourreau armait le mécanisme. Il tira le levier et le sol se déroba sous mes pieds en emportant le petit tabouret.
A mon grand désespoir, il n'y eut pas de « crac ». Ma nuque encaissa le choc et la pression sur ma gorge commença à m'étouffer lentement. Enfermant à jamais cette dernière bouffée d'air dans mes poumons. « Fais chier... ils sont pas foutus de m'exécuter proprement ! » Pensais-je. Après une trentaine de secondes à me balancer interminablement ma vue s'assombrie totalement et des lumières commencèrent à danser devant moi. Je faisais tout ce que je pouvais pour accélérer les choses mais mon corps refusait de lâcher prise. J'avais toujours eut un terrible instinct de survie. Et aujourd'hui il me le faisait bien payer en prolongeant mes souffrances. Je ne voyais plus le ciel...
C'est alors que des sons étouffés de sabots heurtant la terre raisonnèrent de plus en plus fort. « Qui-est-ce que ça pouvait bien être ? » me dis-je dans un instant de lucidité. Personne ne sortirait à cheval par ce temps et encore moins ne galoperait en ville sans que ce ne soit grave. Ah, l'air me manquait, j'aurais bien aimé savoir...
Un grand crac retentit. Mais ce n'était pas ma nuque. Je me sentis tomber et m'écrasais sur mes jambes. Une vive douleur me transperça les genoux alors que je heurtais le sol emporté par le poids du boulet. La pression sur mon cou disparue et mon instinct de survie s'empressa d'avaler d'énormes goulées d'air pour me ramener à la vie. Mes sens revinrent bien trop vite et je sentis l'odeur putride de la flaque dans laquelle je m'étais écrasée. Mélange d'eau, de terre et des fluides corporels de mes prédécesseurs. « Ma douce mort sera pour une autre fois... » Pensais-je. Un feu me dévora la gorge à cause de la pression de la corde. Pourquoi n'étais-je pas mort ? Je me laissais tomber de côté grossièrement pour regarder dans l'autre direction et vis des cavaliers en armures de plaques complètes, comme on n'en voit que dans les grands et beaux châteaux. L'un d'eux tenait un rouleau de parchemin que le bourreau examinait avec attention. Puis je le vis regarder vers moi et ses yeux me transpercèrent à travers son casque.
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Copper Coin
Fantasía"Regarde moi, et dis-moi quel espoir en toi n'est pas mort ?" Seul l'hiver m'est tendre et seule la mort réchauffe ma couche. Je combattrais le Peuple Gris au Nord, les éleveurs de bêtes du Sud et tout être que les dieux mettront sur ma route. Pour...