— Et votre enfant, qu'est-il devenu ? Interrogea Surcouf.
A cet instant, la diligence s'arrêta brusquement dans un hennissement de chevaux. Oscar se réveilla en sursaut, sortant par réflexe son petit couteau au manche sculpté de l'abeille. Surcouf sortit son pistolet et descendit de la diligence pour voir ce qui avait bien pu causer cet arrêt si brutal. Il allait interpeller le cocher quand il découvrit la raison de ce brusque freinage. La Route Royale était coupée par un Orme, probablement déraciné par une rafale de vent pendant la nuit. Ils étaient les premiers à le rencontrer dans ce sens de la circulation, mais, de l'autre côté de l'arbre et voyageant vers Paris, il y avait déjà un coche et une charrette à bœufs immobilisés, leurs conducteurs respectifs s'adonnant déjà à débiter l'énorme tronc en petits rondins. La route était creusée de part et d'autre de larges fossés qui empêchaient les attelages de contourner l'obstacle, à l'instar d'un cavalier solitaire, comme les traces de sabots dans les tranchées boueuses des bas-côtés pouvaient le confirmer. Le cocher de la diligence descendit et alla réveiller son compagnon qui dormait encore. Il attrapa deux haches, en tendit une à Surcouf et se mit à aider leurs compagnons d'infortune, de l'autre côté de l'arbre. Pendant ce temps, le second cocher détacha deux chevaux et, les attelant aux rondins déjà débités, se mit à déblayer progressivement la route. Il leur fallut près d'une heure avant de pouvoir reprendre leur marche en avant, et, si la pause leur avait permis de reposer quelque peu les chevaux, ils avaient perdu trop de temps pour s'arrêter déjeuner à Montereau, où l'Yonne rejoignait la Seine. C'est donc au galop qu'ils passèrent devant le relai de poste et continuèrent leur route, gardant sur leur gauche les boucles de l'Yonne tandis qu'ils arrivaient en Bourgogne.
Oscar étant réveillé, Surcouf et Éléonore mirent de côté leur conversation matinale et discutèrent de choses et d'autres avec l'enfant qui leur montra des tours avec Cebus. Le singe sortait par une fenêtre de la diligence, et réapparaissait de l'autre côté, ayant volé ici la montre de Surcouf, là le poudrier d'Éléonore, ou encore le haut-de-forme du cocher. Éléonore riait aux éclats, et Surcouf se délectait d'observer le visage de cette femme, si belle et pourtant si simple, avec qui il adorait converser. Le sujet de conversation s'orienta sur la musique, et ils passèrent encore une bonne heure à écouter Oscar les ravir du son de sa clarinette, comme il l'avait fait la veille pour toute la cour.
— Lully lui-même en mourrait de jalousie, s'il était encore parmi nous, s'amusa la jeune femme. Quel talent tu as, Oscar, tu me fais penser à ce jeune Mozart, qui compose pour la cour de Vienne. J'ai eu la chance de le voir jouer du clavecin quand il devait avoir à peine plus que ton âge.
— Et le petit compose, ajouta Surcouf. Lors de notre voyage vers Versailles, il a fait pleurer le postillon qui nous conduisait en lui jouant un air du pays. Mon fils regorge de talent, et je gage qu'il ne devienne célèbre, un jour.
En disant cela, il frotta les cheveux d'Oscar dont les joues rosirent du compliment. Ce dernier reprit sa mélodie où il s'était arrêté. Ils poursuivirent ainsi une bonne partie de l'après-midi et atteignirent Sens à la tombée du jour. Il devait être vingt heures, et les derniers rayons du soleil teintaient le ciel de lueurs orangées. Le relais de poste de cette petite ville de Bourgogne était gigantesque. Depuis la démocratisation relative des diligences, et la remise à neuf de la route royale entre Lyon et Paris, le nombre d'étapes avait diminué considérablement, et Sens était devenue une des ville-étapes incontournable. Ainsi, le nombre d'hôtels et d'auberges avait-il considérablement augmenté durant les dernières années, la concurrence faisant baisser les prix, et ils avaient trouvé une auberge pour seulement vingt livres chacun, diner compris. Certes, la soupe servie ce soir-là ne rassasia pas les voyageurs, mais ils étaient si harassés qu'ils ne remarquèrent pas la dureté des matelas qui accueillirent leurs corps endoloris. Éléonore avait réussi à obtenir une chambre seule, tandis qu'Oscar, Cebus et Surcouf en avaient partagé une autre. Les cochers, eux, restèrent près des bêtes, car, dans ce genre de ville où le passage était important, les vols de chevaux étaient fréquents, à la nuit tombée.
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Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission Royale
Historical Fiction[TERMINEE] [Wattys 2021 WINNER] Un énorme merci à @Alonebuttogether pour son travail sur la couverture, n'hésitez pas à aller voir ce qu'elle fait! En 1785, le capitaine Surcouf, corsaire connu pour ses exploits militaires, fait la rencontre d'Osca...