Chapitre 23 (2/3): Port-Elizabeth

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C'est ainsi que Surcouf décida qu'il vaudrait mieux pour son équipage et pour lui-même qu'ils fassent une escale dans cette jeune colonie, afin de désamorcer les probables paroles alarmistes de Calloway, en montrant aux Hollandais sa lettre de marque délivrée par Louis en personne.

Les deux Bricks Espagnols qui mouillaient lors de la visite de Calloway avaient disparu et seule la forme élégante du Trincomalee trônait dans la baie d'Algoa, faisant face à la jeune colonie de Port-Elizabeth. Comme l'anglais l'avait fait quelques jours plus tôt, Surcouf manœuvra le Renard jusqu'au ponton central, et demanda à ses hommes de rester à bord, et de se préparer à appareiller au moindre mouvement de sa part, si les choses venaient à tourner mal. Accompagné de Tormund, Amund, Azimut et Dents-Longues, il se dirigea vers la maison du chef du village.

Lorsqu'il entra dans la petite maison de bois, les regards étonnés des hollandais se tournèrent vers lui.

— Surcouf ? Comment est-ce possible ? demanda Vertongen, le capitaine du Trincomalee. Nous avons eu il y a trois jours la visite de Calloway, qui nous assurait être à votre poursuite.

— Oui, et il portait une lettre de la reine ordonnant de vous faire prisonnier, et promettant une belle récompense à qui vous traduirait devant la cour de Versailles, ajouta l'homme qui, en jugea Surcouf, devait être le chef de cette petite colonie.

Le corsaire s'avança vers lui et lui tendit la lettre du roi Louis, frappée du sceau royal. L'intéressé lut la lettre et la tendit au troisième homme, un capitaine d'une quarantaine d'années, à la chevelure rousse attachée en une queue de cheval, surmontée d'un bicorne de cuir tanné. Il portait une redingote de marine verte, un pantalon d'officier d'un blanc de nacre, et l'intérieur de ses manches était doublé de satin orange, typique de l'accoutrement des officiers de marine Hollandais. Il avait deux minuscules yeux bleu pâle et affichait un regard sévère. Ses favoris bien fournis et broussailleux masquaient à peine les nombreuses cicatrices qui paraient le visage du capitaine batave.

— Une lettre de mission provenant du roi lui-même, dit-il en levant les yeux vers le corsaire.

Ce regard était aussi glacial que le ton de sa voix, et Surcouf, bien qu'il s'efforçât de ne pas ciller en retour, sentit son sang se glacer dans ses veines.

— Comme c'est étonnant, reprit le chef du village. Il semblerait que le roi et la reine ne soient pas en parfait accord à votre sujet, Surcouf.

— Vous connaissez Elizabeth, répondit le corsaire, n'osant détourner son regard de celui du capitaine. Et vous savez la haine personnelle que me voue Calloway.

— Je crois qu'il ne vous a toujours pas pardonné la bataille de Batabano, s'exclama Vertongen, amusé. Mais je ne comprends pas... Calloway nous a assuré être derrière vous, depuis Mossel Bay. Par quel tour de passe-passe avez-vous bien pu réussir à lui échapper, et à faire du chasseur, le chassé ?

Surcouf leur raconta la ruse qu'il avait imaginée et orchestrée, ainsi que le passage sur sa traversée de la savane.

— Excellent, haha, excellent, s'exclama Vetongen à la fin du récit. Ainsi donc vous vous rendez à Lourenço Marques. Mais... pourquoi avoir donné à Calloway votre véritable destination, si tel est le cas.

— Rassurez-vous, la baie de Maputo n'est qu'une étape, et notre destination est bien plus au nord de l'Afrique, mais, vous vous en doutez, je dois la garder secrète, répondit Surcouf.

— Évidemment, répondit le capitaine du Trincomalee. Mais, dans ce cas, laissez-moi vous conseiller un autre itinéraire. Le canal du Mozambique n'est pas des plus sûrs, ces derniers temps, et des pirates Malais y sèment la terreur. De plus, lorsque Calloway apprendra que vous n'êtes jamais allé à Lourenço Marques, il enverra des messages aux comptoirs Anglais d'Inde et d'Égypte pour bloquer le canal, soyez-en sûr. Non, je vous conseille plutôt de contourner Madagascar, le détour vous rajoutera quelques journées de navigation, mais cela en vaut la peine, je vous l'assure.

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant