Chapitre 16 : Piégés par les espagnols (3/3)

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— Il doit vouloir dire qu'il peut soigner la fièvre, dit Alizée, surgissant derrière Phaïstos.

En effet, après quelques minutes d'explications dans un anglais sommaire et de signes en tous genres, l'indigène, qui s'appelait Natu, arriva à leur faire comprendre qu'il était le guérisseur de son village, et qu'ayant entendu les cris d'agonie de Tag, il s'était résolu à venir lui porter secours. Surcouf et Alizée l'amenèrent au chevet du malheureux qu'il examina méticuleusement, sans porter attention à ses délires ni à l'odeur irrespirable qui se dégageait de ses chairs en putréfaction.

— Fever too high, conclut-il. Medicine not good. Must...cut.

— Oui, il faut couper, confirma Alizée, c'est ce que disent mes livres. Sinon l'infection va s'étendre.

— Now ! trancha Natu.

De nouveau, ils préparèrent une bassine d'eau bouillante, reprirent la scie et du tissu propre pour les pansements. Cette fois-ci, Alizée plongea une bobine de fil de couture dans l'eau bouillante ainsi qu'une aiguille à coudre. Natu, de son côté, fit bouillir des plantes dans une marmite en prononçant d'étranges formules dans un dialecte inconnu des pirates. Quand tout le monde fut prêt, Surcouf se prépara à faire venir ses hommes pour contenir les mouvements de Tag, mais Natu lui fit comprendre que cela ne serait pas nécessaire. Il fit boire au blessé une gorgée de lait de pavot, ce qui eut pour effet de calmer les gémissements de ce dernier qui s'endormit presque aussitôt. Alizée s'apprêta à entamer les chaires meurtries de Tag, mais Natu s'interposa, lui intimant de se désinfecter les avants bras et de badigeonner les jambes de Tag avec la bouteille de Rhum qu'elle avait commandé pour se donner du courage. Elle prit la scie chauffée à blanc, et entreprit de sectionner les jambes du malheureux au-dessus du genou cette fois-ci. Tag gémit et tressauta quelques instants, puis s'évanouit de nouveau sous la douleur. L'opération dura toute la nuit. Le crissement de la scie sur les os du pirate était insupportable, et la peau déjà opaline de la jeune femme était devenue livide, presque translucide, si bien qu'on aurait pu voir à travers. Mais elle ne craqua pas, et tint bon. Elle nettoya méticuleusement les plaies ouvertes, cautérisa avec la lame brulante d'un couteau, et entreprit de recoudre la chair, à l'aide du fil et de l'aiguille qu'elle avait préalablement chauffée sur les conseils de l'indigène. Natu plaça un emplâtre de ses herbes bouillies sur chacune des cicatrices des moignons, et ils emballèrent le tout dans des draps propres. Alizée, épuisée, s'effondra sur le sol à côté de l'ingénieur, et Phaïstos, qui était resté pendant toute l'opération, ramassa délicatement le corps de la jeune femme pour aller le déposer dans son hamac, de l'autre côté de l'entrepont. Après avoir vérifié que les pansements de Tag n'étaient ni trop serrés, ni trop lâches, Natu s'adressa à Surcouf.

— Je ne puis rester plus longtemps avec vous, mais je reviendrais, je dois retourner auprès de mon village qui n'aime guère les étrangers de votre espèce.

Il donna au corsaire des conseils sur la façon dont il devait s'occuper du blessé avant de repartir dans la forêt. Surcouf resta au chevet du mutilé pour le surveiller, et changer régulièrement les tissus imbibés d'eau fraîche sur son front, destinés à faire tomber la fièvre.

Les jours suivant, Heuer et Surcouf se relayèrent auprès de Tag, le forçant à avaler une bouillie infâme concoctée par l'indigène et à boire dès qu'il se réveillait en hurlant de douleur, avant de lui administrer de nouveau le providentiel lait de pavot qui calmait ses douleurs et le replongeait dans le monde des songes. Alizée ne se réveilla pas avant deux jours, son corps épuisé tentant de reprendre des forces, après les nuits d'insomnie précédant celle de l'opération, et lorsqu'elle ouvrit finalement les yeux, elle croisa le regard bleu de Phaïstos qui l'avait veillée tout ce temps en lui tenant la main. Elle lui sourit et lui dit qu'elle était affamée, alors il alla lui préparer des œufs frais et deux biscuits de pain faits par Rasteau la veille. Une fois la jeune femme pleinement repue, elle alla s'enquérir de l'état de santé de son patient, qui revenait lui aussi peu à peu à lui. Les emplâtres de Natu avaient fait tomber la fièvre, et Tag pouvait désormais presque s'asseoir sur son lit. Cependant, il était toujours douloureux et fortement dépendant au lait de pavot. Alizée regarda les cicatrices qui semblaient propres, et dont aucune odeur étrange ne se dégageait. Finalement, le pirate avait réussi à se débarrasser de l'infection et son corps récupérait lentement de la rudesse de l'opération.

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant