Chapitre 6 (4/4): amour monastérial

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— Bon, alors ? Qu'est-ce que vous voulez savoir.

Le ton était volontairement provocateur, car Wardin savait exactement ce qu'ils attendaient. Oscar et Mircea se regardèrent avant de répondre en chœur :

— Tout !

— Comment avez-vous rencontré Balaïkhan ?

— Ah. Commençons par le début. Je suis né au Danemark, dans un petit village au Sud de Copenhague. Mes parents étaient de riches commerçants. Ils m'ont emmené avec eux sur la route de la soie quand j'avais une dizaine d'années. C'était mon premier grand voyage, j'allais avoir la chance de rencontrer des cultures complètement différentes de la nôtre et parcourir le monde. Malheureusement, je n'ai jamais pu voir les merveilles de l'Orient, car nous avons été séparés à la suite de l'attaque de la caravane par des voleurs Ottomans en Turquie. Lorsqu'ils m'ont vu, les assaillants n'ont pas voulu assassiner un enfant sans défense, alors, ils m'ont pris avec eux. Nous avons traversé le Caucase en Géorgie et contourné la mer caspienne jusqu'en pays Kazakh, où ils m'ont confié au patriarche d'une tribu des steppes. Ce sont des éleveurs nomades, qui naviguent à la suite de leurs troupeaux entre l'Oural et l'Altaï. Leur particularité réside dans le fait qu'ils sont d'excellents fauconniers et élèvent des aigles à la chasse. Ils m'ont accueilli, adopté et élevé selon leurs coutumes, m'apprenant au fil des années l'art de la fauconnerie. A l'âge de quatorze ans, j'ai reçu mon premier aigle. Je l'ai dressé, petit à petit, et il a fallu une année entière pour qu'il puisse participer à sa première chasse. Qui fut malheureusement sa dernière, car il a été mortellement blessé par le loup qu'il attaquait. C'était ma faute, il était trop jeune et trop petit pour un tel adversaire, et je ne suis pas arrivé à temps pour le protéger. Blessé dans mon amour propre, j'ai attendu plusieurs années avant de reprendre un aigle à ma charge. J'avais vingt-et-un printemps quand j'ai mené Gulayna à sa pleine taille. C'était une chasseuse redoutable, elle n'était certes pas la plus grande de tous les aigles, mais de loin la plus agile. Quand elle a tué son premier renard, les Kazakhs m'ont fait passer une cérémonie, j'étais devenu un homme. C'est à ce moment qu'ils m'ont offert Gavaïnah, mon premier cheval. D'ailleurs, mince, je l'ai laissé dans la cour ! Il faut que je le desselle !

— Les poneys ? Nous les avons dessellés et mis à l'écurie. Il y a un problème ? demanda Mircea, inquiet.

— Non, non aucun souci, parfait. Mais ce ne sont pas des poneys, ce sont des chevaux, des chevaux de Przewalski. Bien que de petite taille, ils sont solides, endurants, et capables de supporter le rude climat des steppes, en hiver. J'ai donc gardé Gulayna pendant neuf années, et nous avons chassé ensemble. Elle était un prolongement de mon bras, mon alter-ego, en quelque sorte. Puis, comme le veut la tradition Kazakh, je l'ai rendue à la nature pour qu'elle finisse sa vie en liberté. Balaïkhan est son fils, mon troisième aigle royal des steppes. Quand il a été assez grand pour chasser, je l'ai dressé selon la coutume. Il était plus grand que les autres aigles, et nous nous sommes attaqués à de plus grandes proies : chèvres des montagnes, loups. Puis j'ai eu envie de quitter le village. Je n'avais pas oublié mes origines et j'avais envie de découvrir le monde au-delà de la steppe. Les Kazakhs m'ont dit que je ne pouvais pas partir avec Balaïkhan, que l'aigle appartenait à la steppe et qu'il ne devait pas quitter les montagnes qui l'avaient vu naître, de peur que son esprit ne se perde. Alors, je l'ai offert au fils du chef de clan. Il venait d'avoir 14 ans et était comme mon petit frère, j'avais confiance en sa capacité de bien s'occuper de mon aigle. Ils m'ont offert un deuxième cheval, Aknur, et je suis parti vers le Nord avec les chasseurs. Nous nous sommes séparés après deux jours de cheval, eux prenaient vers l'Est et vers l'Altaï pour trouver de nouvelles aires et de nouveaux œufs. J'ai dit adieu à ma tribu et à Balaïkhan, que je pensais avoir perdu pour toujours. Trois jours plus tard, il m'a retrouvé. Les chasseurs avaient levé un renard et ils avaient sûrement voulu initier le fils du chef à la chasse, mais, dès que l'aigle avait été libéré, il était parti vers le Nord, insensible à leurs ordres et leurs cris, semant les autres aigles lancés à sa poursuite. Il m'a retrouvé au sommet d'une montagne enneigée, à la frontière Nord du Pays. Quand il s'est posé sur mon gant, j'ai compris que nous ne nous quitterions plus. Devant nous, s'étendait la vaste taïga enneigée, et un nouveau défi. Cela fait cinq années que nous chassons ensemble à travers l'Europe, et que j'étudie les espèces d'oiseaux qui la peuplent. Récemment, c'est en suivant un vol d'étourneaux par-delà le Vercors que je suis arrivé jusqu'ici.

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant