Chapitre 25 (2/3): Tempête dans l'Indien

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Dans la matinée, alors que Mircea relevait Nid-de-Pie à la vigie du hunier, un grand choc se fit entendre et le navire freina brusquement, comme s'il avait heurté quelque chose. La violence de l'impact avait projeté le garçon en avant, et ce dernier avait failli passer par-dessus-bord, se rattrapant in extremis au marchepied. Cependant, il n'y avait rien à l'horizon. Pas un obstacle, pas un rocher sur lequel le Renard aurait pu s'accrocher.

— Nous avons heurté quelque chose, hurla Zélia. Inspectez la cale de fond en comble à la recherche d'une voie d'eau, ordonna-elle. Mircea. As-tu vu quelque chose ?

— Absolument rien, répondit-il. Ni devant, ni derrière nous. L'Océan est toujours aussi calme et plat, le Trincomalee est à bonne distance et nous sommes toujours hors de portée de ses canons de chasse.

Toute la matinée, les pirates inspectèrent la cale de fond en comble sans trouver aucune voie d'eau dans la coque. Cependant, le navire semblait vraiment ralenti et les hollandais refaisaient leur retard, petit à petit. En fin d'après-midi, c'est finalement Cebus qui trouva la source du problème. Il conduisit Oscar à l'avant du navire, à côté du lieu de l'incendie qui s'était déclenché au début de la tempête. En effet, les évènements s'étaient enchaînés si rapidement, ensuite, que personne n'avait songé à vérifier l'intégrité du cabestan qui permettait d'enrouler la lourde chaîne d'acier dans sa caisse afin de la maintenir en place. Et ce dernier, visiblement endommagé par les flammes, avait cédé dans la tempête et laissé l'ancre se dérouler et entraver le Renard comme un boulet à la jambe d'un bagnard.

— Venez-voir, appela Oscar. C'est l'ancre, l'ancre est déroulée ! c'est elle qui nous ralentit !

Les pirates accoururent pour constater les propos du blondinet, qui félicitait Cebus de sa découverte.

— C'est vrai, affirma Victarion. C'est pour cela que le navire avait une tendance étrange à lofer, bâbord amure.

— En effet, il faut la remonter, statua Dents-Longues. Mais avec le cabestan en miettes, il va nous falloir de gros bras pour hisser les deux-cents brasses d'acier hors d'eau.

Il alla cherche Amund, Tormund, Andy, Phaïstos et Rasteau, qui commencèrent à hisser l'ancre à la seule force de leurs bras. Maille après maille, mètre après mètre, ils remontaient la lourde chaine que Tag et Heuer prenaient bien soin d'enrouler autour d'une roue de fortune qu'ils avaient inventée afin d'éviter que le travail des cinq mastodontes ne soit réduit à néant à la moindre défaillance de leur part. Au bout de deux heures d'un travail harassant, ils finirent par comprendre la véritable raison des difficultés de leur effort, et du choc qu'avait subi le Renard le matin même. En effet, un jeune cachalot s'était fait hameçonner par l'une des branches incurvées de l'ancre, et était accroché, incapable de se libérer. Le malheureux était mort noyé, incapable de remonter à la surface, entraîné ainsi vers le fond par le poids de l'acier.

— Il doit peser au moins cinq tonnes ! s'exclama Mériadec.

— Nous n'arriverons jamais à le hâler à mains nues, constata Andy.

— Il faudrait le palanquer, répondit Tag, mais cela nous prendrait une bonne heure, au minimum.

Comme pour lui répondre, une détonation provint du Trincomalee. La frégate hollandaise avait repris sa marche en avant et s'était rapprochée au plus près du cotre, et le menaçait de nouveau de ses canons de chasse.

— Tiens, je l'avais oublié, celui-là, grommela Heuer. Non, nous n'avons pas le temps de palanquer la bête. Il nous faut trouver une autre solution, et vite !

— Poussez-vous, aboya Dents-Longues en écartant l'ingénieur de sa route ; Laissez-moi faire.

Il enjamba le bastingage, agrippa la chaîne de l'ancre, et descendit les derniers maillons qui surnageaient de la surface écumeuse de l'océan pour rejoindre le bébé cachalot. Il sortit de l'une de ses manches une dague au manche ouvragé et entreprit de découper le morceau de mâchoire qui maintenait l'animal accroché à l'ancre. Le cotre avançait à bonne allure, et la mer commençait à grossir de nouveau, si bien que chaque vague manquait de désarçonner le Longs-Couteaux, qui travaillait sans relâche. Au bout de quelques minutes, les derniers lambeaux de peau du malheureux cétacé cédèrent, et sa carcasse s'éloigna en flottant du Renard, déjà assaillie par des hordes de goélands, de sternes et de fous de Bassan affamés. Dents-Longues remonta sur le pont, trempé et épuisé, et les cinq gaillards purent haler les dernières brasses de chaîne qui maintenaient encore l'ancre sous l'eau.

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant