Dorian avait pris soin de ne rien laisser paraître alors qu'il faisait face à la dernière personne au monde qu'il pensait ( et voulait, de facto) rencontrer à Londres. Après presque deux années d'absence, deux années à errer à travers le monde, deux années de cavale, de craintes et de folie, il ne pensait plus vraiment aux tracas qui faisaient son ancien quotidien. Il ne pensait plus aux horreurs dites par ses proches, par ceux sensés l'aider à se construire, ceux sensés lui apporter une sécurité émotionnelle pour faire face au monde. Non. Il n'y pensait plus.
Qu'il s'agisse de la violence psychologique du système pédagogique, de celle de ses camarades, ou de ses proches, il avait réussi, grâce au soutien d'un allié inespéré, à passer outre. A s'en détacher. A se construire. Mais... Comme tout enfant qui grandit par lui même, il s'était forgé une carapace qui le protégeait des mochetés l'entourant. Alors que le premier soir à Londres avait été bercé par les cris d'âmes vengeresses que Eago avait éteintes sans sourciller, il espérait que le reste de leur séjour soit dépourvu de ténèbres.
Mais il savait depuis longtemps qu'il en demandait trop au sort. Pourquoi son histoire lui ferait-elle une fleur ? Il avait titubé jusque là, tourné avec peine et chagrin les pages de son récit. Pourquoi le drame se changerait-il en un tendre récit de vie ? Pouvait-il seulement nommer cela un drame ? Il avait lu, dans un essai sur la défense de l'individu par l'individu, que le drame n'est un drame que si un choix un supposé. Il n'y a de drame que s'il y a un choix faisable. Or... Où était son choix jusque là ? Il subissait ce que la nature avait fait de un: un calice. Certes, il aurait pu s'opposer vigoureusement à cela. Mais... Le souhaitait-il seulement ? A l'époque comme aujourd'hui, il ne souhaitait qu'une chose : être libre d'être ce qu'il voulait être. Être libre de ne pas suivre la voie tracée pour lui. Choisir autre chose, n'importe quoi, que cela... Pouvait-il seulement considérer que cela était un choix ? Le choix de refuser un choix ? Le choix de... De se détacher de ce qui a jusque là fait son être ?
Pour être un être dépourvu de pleine liberté et plein pouvoir ? Mais.... Un être qui pouvait à présent choisir autre chose que ce qui jusque là sonnait comme une condamnation : des études, un mariage arrangé, une vie encadrée ... Au lieu de cette course contre la vie, de ce quotidien nourri de réflexions, d'horreur et de fascination... Il préférait cela. Une insécurité au lieu d'une sécurité ostentatoire et amère...
Face à lui se tenait la cheffe d'orchestre de cette symphonie fausse qui aurait été sa vie s'il n'avait pas été fascinée par cet être digne d'un Michel Ange qui pourtant était sur le point de le tuer sans empathie aucune. Un être de légende qui avait causé la fin de son quotidien et la perte de cette version si esthétique de la R&publique de Platon...
- Mère, quel malheur de vous croiser, commenta-t-il, alors que les elfes noirs découvraient avec une certaine fascination et un ennui notoire la génitrice du calice dont les camarades du Prince leur avaient parlé. Elle avait été épargnée grâce à la bonté du calice, disaient-ils. Enfin... Ils n'avaient pas parlé de bonté, plutôt de faiblesse émotionnelle typiquement humaine et incompréhensible...
- Je vois que ton insolence n'égale guère mon mépris, renifla dédaigneusement la politicienne.
- Quel honneur d'être l'objet de votre mépris.
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Si c'est un don... TOME 3
VampireAinsi le regard blafard de l'Histoire ne se pose pas sur chaque combat, chaque survie, chaque balafre avec la même intensité. Alors que tant pleurent le futile, ils dénient , dans un reniflement dédaigneux, le plus sombre des chapitres, la plus maca...