" As brave as a Hobbit" Me

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Un canon, froid, lisse, menaçant mais élégant, était posé sur son front. Et lui, dans sa lassitude et son ennui, ne pouvait que penser à la folie de ce qui fait l'humanité. Après tout, qu'est l'esprit s'il est dépourvu de ses réflexions les plus profondes lors des incertitudes les plus douloureuses?  Qu'est la pensée sinon un méli-mélo de mots et d'association de craintes et d'assurances de constats et de questionnements dans les plus folles expériences?


L'humanité connait de sombres plaisirs. Elle en a de terriblement beaux et de sombrement laids. Des pétales et des ronces. Des mots et des actes. Le plus terrible d'entre eux est peut être le plaisir de voir quelque chose d'épouvantable. Une attirance irrémédiable pour les spectacles qui montrent les pires vices, les pires dérives, de l'humanité. Comment faire face à ce qui est possible, mais tabou. Ce qu'on pense mais craint. Ce qui fascine mais tord les tripes de dégoût? C'est un conflit entre soif de poser son regard sur ce qui nous révulse et désir de se détacher de ce qui n'est pas associable à l'humanité. C'est cette fascination pour l'association de ce qui nous fait horreur et nous émerveille qui est à l'origine de l'acte même de création artistique. Rendre concret ce qui est impensable. Immortaliser à travers une photographie une chose que l'œil humain ne peut graver à la perfection dans sa rétine. Une beauté que nul ne peut songer à égaler. L'acte de création n'est qu'une interprétation de ce qui est. Ce qui fascine. Ce qui horrifie. La photographie rend l'éphémère éternel.


Être calice, c'était être figé dans un état. C'était ne plus être sujet aux aléas du temps. C'était faire face à la nature et se détacher de ses contraintes. Non, il n'était pas monstrueux. Juste épouvantablement chanceux. Après... Vivre sans être comme tout individu destiné à s'éteindre ? Être le vent qui ne cesse de souffler. Pouvoir poser son regard sur les plus profondes beautés et les plus laides horreurs que l'humanité peut faire pour avancer, évoluer, détruire ce monde qui a si longtemps vécu sans elle... Pouvoir en faire le constat, s'en attrister, s'en émouvoir, mais ne rien tenter. Ne pas s'engager. Ne pas espérer l'inespérable. Ne pas croire que lui, individu parmi tant d'autres, lui calice parmi tant d'autres, pouvait être le vent d'est...


Il l 'avait longtemps cru. Et il le croyait encore. Il avait voulu que sa mère survive. Que son père soit un souvenir. Que son histoire tourne le chapitre empreint de cynisme et de douleur de son récit dans son premier cercle de socialisation... Mais non. Non, son histoire semblait trop tendre que pour se détacher avec une telle brusquerie de ce qui avait fait son être. Fait sa fragilité. Fait sa tendresse... Sa faiblesse d'esprit, disaient certains.


Assis sur ce canapé qui n'était rien d'autre que son refuge, près du feu, ses mains serrent de façon absurde le livre qu'il avait cessé de lire. Sa seule crainte est que ce livre soit le dernier. Il avait le temps, c'est ce qu'il se disait. Ils se disent tous cela en se réveillant : qu'ils ont le temps. Que l'imprévu n'arrive que lorsqu'on se joue de son histoire. Lorsqu'on pense pouvoir le tromper.


- Tu sais pourquoi on est là gamin, fit l'homme debout devant lui.


- Je sais surtout que vous allez regretter d'avoir fait ce choix, commenta Dorian.


- Tu avais un ultimatum, gamin.


- Et vous pensez pouvoir vous en sortir en ayant pris ce contrat ?


- Beaucoup ont tenté le coups et pris ce contrat à Londres, gamin.


- Beaucoup vont mourir, soupira le calice.


- Ton vampire n'est même pas là, soupira le mercenaire.


- Parce que vous croyez qu'il est toujours là ?


- Visiblement non.


- Ai-je pour autant l'air assez vulnérable pour que vous tentiez votre chance, soupira Dorian.


- Tous les calices son vulnérables.


- Pas ceux sachant tirer.


- On dit que tu vises souvent l'épaule. Ou alors tu ne sais pas viser...


- Vous devenez insultant, fit, un sourire sans joie aux lèvre, le jeune Dorian.


- Qui aurait cru qu'on pouvait être susceptible alors qu'on est sur le point de mourir, ria le mercenaire.


- Qui dit que je vais mourir, sourcilla Dorian.


- Le canon de mon arme pointé sur son front, gamin.


- Ah, certes, il y a ce détail.


Il y eut un craquement sonore qui sembla accompagner celui des bûches se brisant dans le foyer. Dorian garda son regard ancré à celui du mercenaire. Il y avait un éclat d'étonnement. De la surprise peut être ? Il n'était pas certain... Même dans la mort, on pouvait presque lire le juron étouffé qui n'avait pas pu quitter ses lèvres.


- Navré du retard, ses camarades étaient nombreux, commenta un elfe noir en souriant au calice.


- Vous lui avez brisé la nuque, notifia Dorian, rouvrant son livre à la page qu'il avait écornée.


- En effet.


- C'est moins salissant que ce que font Blue et Charle lorsqu'ils se battent, constata-t-il.


- Excusez nous de ne pas être aussi délicat que les elfes noirs, cher ami, renifla dédaigneusement Blue en s'installant sur un canapé, un air faussement vexé sur son visage. Le calice lui adressa un sourire amusé, replongeant dans sa lecture sans commenter.


- Je pense qu'une visite à votre mère s'impose, soupira Charle en entrant au salon alors que l'elfe noir faisait sortir le corps du dernier mercenaire.


- Je pense que Eago ne l'épargnera pas, soupira Dorian, le nez dans sa lecture.


- Voilà deux semaines que nous recevons des visiteurs turbulents, cela se comprend, commenta Blue. 

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