12 - Le Pavillon de la Lune (2/2)

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— Moi, j'ai confiance en toi, répliqua Yu avec un sourire que la servante ne vit pas.

Senlinn ouvrit des yeux agrandis de stupeur. Jamais de sa vie elle n'avait entendu un maître tutoyer un esclave. C'était une réelle surprise pour elle, un blasphème même, mais à présent qu'elle la connaissait mieux, elle pouvait comprendre son comportement étrange, sa spontanéité et sa franchise. Elle n'avait pas grandi dans ce monde. Elle venait d'un autre univers où les gens étaient sincères, vrais, affectueux et familiers ; là où personne ne se cachait derrière des éventails pour parler à voix basse dans le dos des autres ou pour donner des ordres à autrui d'un air supérieur.

— Ça ne te dérange pas que je te tutoie ? Je n'ai jamais eu d'ami. J'aimerais que tu deviennes la mienne, poursuivit Yu avec entrain, ne doutant pas un seul instant que l'Ecthrosienne accepterait.

— Eh bien... tant que je ne suis pas obligée d'en faire autant, je pense que ça ne me dérange pas, avoua la servante, mal à l'aise.

Elle n'avait pas l'habitude non plus qu'on lui demande son avis.

— Tu peux m'appeler Yu, si tu veux, assura pourtant la jeune femme, ravie de s'être fait une amie, même si c'était sa servante.

Senlinn secoua la tête. Yu se renfrogna.

— Dame Yu, alors ?

— Je... Oui, je devrais... pouvoir le faire... Dame... Yu.

Yu tapa dans ses mains pour marquer sa joie.

— Je suis tellement heureuse d'être ici ! Et si nous allions nous promener dans le Jardin de la Lune ? proposa-t-elle en tentant de se relever.

Empêtrée dans ses innombrables robes, elle trébucha et faillit tomber. Néanmoins, Senlinn la retint habilement par ses vêtements.

— Ne voulez-vous pas du thé, tout d'abord ? Ou prendre un bain à votre aise ?

Yu la regarda avec surprise, même si la servante ne put que le deviner.

— Pourquoi prendre encore un bain ? J'en ai déjà pris un tout à l'heure.

— Maîtresse Mariko en prenait plusieurs par jour, expliqua Senlinn en réfléchissant. Il y en avait un au lever, un avant le couché, et parfois un à deux pendant la journée. Mais vous êtes au palais. C'est toujours plus, au palais : plus de robes, plus de bains, plus de repas, plus de maquillages, plus d'ornements... plus de banquets et plus de personnes !

Yu se figea à cette dernière évocation, mais elle se rassura en se souvenant que le prince Akio avait précisé qu'elle ne serait pas contrainte à se mêler à la Cour et autres mondanités du palais, qu'elle pourrait faire ce qu'elle voudrait, y compris rester à l'abri dans l'enceinte du domaine princier.

— Donc... je peux boire du thé, là, maintenant, tout de suite ? Comme ça ? reprit-elle pour changer de sujet.

— Vous êtes la maîtresse du Pavillon de la Lune, sous la protection de Son Altesse le prince Akio. Il n'y a que l'empereur pour vous interdire de faire quelque chose. Or, je doute qu'il s'intéresse de savoir si vous buvez du thé ou non.

Yu paru réfléchir à la question puis opina.

— C'est vrai. Je ne suis rien pour lui. Il ne connaît même pas mon existence.

— Oh, à cette heure, je serai vous, je n'y compterai plus trop.

Yu haussa les épaules.

— Tant pis. Je suppose qu'en tant qu'invitée de Son Altesse, il finira par avoir vent de mon existence, de toute façon.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant