46 - Trahison (2/2)

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Yu n'avait pas vu Keishi de toute la journée. Ce n'était pas la première fois. Depuis qu'elle était impératrice, elle suivait toujours les enseignements de naginata qu'il lui dispensait, mais il arrivait parfois qu'il la fasse prévenir qu'il ne pourrait pas être présent, et elle s'y rendait pour faire face à des soldats et un maître d'armes efficace mais bien plus délicat et indulgent que l'empereur. Et ces derniers temps, il n'était pas très disponible. Ecthros s'agitait au nord-est, et ces mouvements inquiétants accaparaient toute l'attention de l'empereur.

La jeune impératrice n'avait pas non plus de nouvelles d'Akio, ce qui la faisait désespérer de jour en jour. À chaque fois qu'elle avait abordé le sujet avec Keishi, il lui avait dit qu'ils ne communiquaient pas afin d'être discrets, pour qu'Akio ne se fasse pas repérer. Il répondait de façon évasive, mais Yu s'en était toujours contenté. Avait-elle le choix ?

Ce soir, elle se sentait terriblement seule et triste. Elle n'avait pas vu Keishi depuis deux jours, elle s'était lassée depuis longtemps d'entendre ses dames de compagnie – à présent au nombre de dix – jacasser, glousser, et intriguer derrière leurs éventails. Elle rêvait de passer du temps dans un lieu tranquille où elle pourrait retirer son masque qui jetait un voile noir et opaque sur le monde, la rendant pratiquement aveugle. Elle voulait rire spontanément et non pas glousser cachée derrière sa manche ou un éventail de santal et de soie. Elle voulait s'intéresser à la politique de l'empire, au bien-être des gens, parler sans avoir à réfléchir, chanter et danser sans avoir à le faire seulement pour l'amusement de ses dames de compagnie. Elle voulait que Senlinn lui frotte le dos tandis qu'elles discutaient de tout et de rien dans les bains chauds, son masque oublié sur un banc. Tout, de sa nouvelle vie, lui pesait. Même Senlinn, nommée intendante, n'avait jamais paru si loin et hors de portée.

Soudain, Chiyo se leva, tirant Yu de ses pensées maussades.

— Honorable kōgō, si vous me le permettez, je vais me retirer pour la nuit, s'excusa-t-elle de sa douce voix de petite fille.

Sans réfléchir, Yu opina, et ce fut le signal pour toutes les dames. Mariko et Iyona suivirent, ainsi que les sept autres dames de compagnie qui, accompagnées de leurs suivantes, se retirèrent dans leur chambre, laissant leur impératrice seule. Senlinn ayant fort à faire avec les domestiques à présent qu'elles vivaient si nombreuses au Pavillon d'Argent, Yu regagna sa chambre bleue seule et l'esprit vide.

À peine était-elle entrée dans la pièce que son regard se porta sur la porte dérobée. Pourquoi ne pas rendre visite à Keishi à l'improviste ? Certes, elle n'était pas attendue, mais sa présence serait tout de même un certain réconfort. En l'absence d'Akio, elle avait l'impression de maintenir un lien avec lui à travers son frère. Elle le voyait surtout dans ses sourires, raison pour laquelle elle s'employait aussi souvent que possible à l'amuser ou le satisfaire, pour voir ce sourire apparaître, pour faire vivre Akio quelques secondes à ses côtés.

Il y avait également autre chose, un sentiment plus inavouable qu'elle refusait d'admettre tandis qu'il germait en elle. Car c'était la vérité, elle commentait à éprouver une tendre affection pour Keishi, et le fait qu'il n'avait plus fait preuve de la moindre violence verbale ni physique contre elle ou devant elle y était pour beaucoup. Elle le découvrait sous un nouveau jour, sous la même lumière que son frère, et cela ne faisait que déchirer son cœur un peu plus à chaque nuit qu'elle passait dans le lit de l'empereur. Mais si elle s'était attachée à Keishi davantage que ce qu'elle n'aurait jamais imaginé, elle se sentait vide, morte de l'intérieur. De plus, le malaise malsain qui était né en elle la nuit de ses noces persistait encore, troublant sans cesse le peu de quiétude qu'elle parvenait à grappiller auprès de son empereur.

Traître.

Ce mot tournait en boucle dans son esprit à chaque fois qu'elle était avec lui, et la présence du dragon de jade n'apaisait en rien cette colère qui sourdait dans son cœur. Le dragon était en colère, et Yu savait que c'était parce qu'elle persistait à s'attacher aux Fils du Ciel et à les souiller de sa présence. Mais que pouvait-elle y faire ? Ils avaient fait d'elle un oiseau dans une cage dorée, un animal sauvage n'étant plus que l'ombre de lui-même par résignation.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant