52 - Le regard des dieux (1/2)

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À ces mots, le cœur de Yu explosa dans sa poitrine, tombant comme une pierre dans son estomac et remontant dans sa bouche comme une nausée. Ce n'était que l'écho de souvenirs qui s'étaient ternis dans les évènements précipités des dernières semaines, mais maintenant que cette voix s'était exprimée, elle ne pouvait plus douter. Comme pour le confirmer, la pression du bras fort et musclé qui l'empêchait presque de respirer se relâcha complètement et elle osa, par impudence et curiosité, se retourner pour regarder son ravisseur en face.

Les yeux maudits de la jeune femme se posèrent sur un visage aux traits altiers, à la mâchoire carrée et au menton volontaire, une coupe de cheveux barbare, un collier de poils formant une barbe anarchique dévorant le bas d'un visage, et des yeux en amande noirs comme la nuit, écarquillés de stupéfaction.

Malgré tous les changements évidents sur ce visage, Yu le reconnut sans difficulté tandis que son cœur se mettait à battre plus fort dans sa poitrine douloureuse. Cependant, elle n'osa pas prononcer son nom. Un scrupule que lui n'eut pas à son égard.

— Yu...

Il eut un instant d'égarement, constatant que malgré les personnes qui les entouraient, elle ne craignait pas d'afficher sa malédiction.

— Yu... ton masque...

La jeune femme ne pouvait s'arrêter de le dévorer des yeux, cherchant dans les moindres ridules de son visage les traces de celui qu'elle avait connu et celles de l'homme nouveau qu'il était devenu.

— Senlinn a jugé plus prudent de ne pas l'emmener dans notre fuite. Pour ne pas attirer l'attention. Nous avons fait autrement.

Alors, occultant tout ce qui les entourait, il pressa la jeune femme contre lui en enfouissant son visage dans son cou pour dissimuler des larmes qu'il ne parvenait pas à retenir. Yu ne sut pas si elle devait rire ou pleurer.

Elle retrouvait sans difficulté cette étreinte possessive qui lui avait tant manqué, ces bras qui l'avaient protégée dès le premier jour sans jamais faiblir, ces mains qui l'avaient soutenue dès leur première rencontre. Son odeur n'avait rien de semblable, cependant. Il sentait la poussière et la transpiration, rien à voir avec l'odeur raffinée qu'elle lui avait toujours connue. Mais c'était lui. C'était lui.

— Akio, murmura-t-elle enfin contre le tissu rêche de sa tunique abîmée.

Elle ne s'autorisa pas à pleurer cependant, et elle ne le fit pas, consciente que les larmes que versait le prince dans son cou étaient une consolation pour tous les deux. Elles étaient là pour laver la séparation, le chagrin et les douleurs qui avaient suivi une trahison sans nom dont ils avaient tous deux été les victimes.

— Pardonne-moi, Yu, pardonne-moi... Tout est ma faute...

La jeune femme n'eut rien le temps de répondre à cela. Un raclement de gorge gêné les interrompit, brisant la bulle qui les séparait du monde extérieur. Le temps reprit son cours, Akio sécha ses larmes, et Yu détourna les yeux pour se cacher des autres.

Les trois domestiques étaient agenouillés, le front dans la mousse, immobiles. Quant au moine, les mains glissées dans les manches de son kesa, il leur souriait avec bienveillance. Yu sentit les larmes lui gonfler les paupières quand elle réalisa que le moine n'était autre que l'homme qui l'avait élevée comme sa propre fille.

— Bhikkhu !

Cachant son visage dans son coude, elle se précipita vers le vieil homme pour le serrer contre elle avec joie, tandis qu'il lui tapotait affectueusement le sommet du crâne avec amour, évitant de regarder son visage – son chapeau était tombé lorsqu'Akio l'avait enlevée.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant