Drakkon - I - Le masque du dragon

45 - Trahison (1/2)

Tandis que les jours passaient, Yu apprit à vivre entourée de dames de compagnies et de domestiques prêts à se plier en quatre pour elle au moindre claquement de doigts. Chiyo vivait à présent avec elle au Pavillon d'Argent, ainsi que la jeune Mariko qu'elle avait rencontrée à la Porte du Dragon, et Dame Iyona, une courtisane avec qui elle avait eu l'occasion de parler auparavant. Toutes deux étaient entrées à son service dès le lendemain. Ces trois dames vivaient dorénavant sous son toit et lui tenaient compagnie à toutes heures du jour. Le Pavillon d'Argent étant vaste, il pouvait accueillir jusqu'à dix dames de compagnie dans des appartements assez vastes pour contenir ces dames et leurs suivantes. Yu, de fait, avait dû réapprendre à vivre quotidiennement avec son masque qu'elle ne retirait plus que lorsqu'elle se rendait dans la chambre à coucher du Pavillon d'Or, les nuits ou Keishi la demandait.

Après plusieurs années de silence suite au décès de feu l'impératrice Akimi, le Pavillon d'Argent vivait de nouveau.

Cependant, malgré le luxe dans lequel Yu vivait dorénavant, elle réalisa combien la liberté qu'Akio lui laissait dans son domaine lui était précieuse. De plus, elle avait fait un terrible constat à mesure que les jours passaient : malgré les instants privilégiés avec Keishi qui semblait soucieux de prendre soin d'elle, elle n'était pas heureuse. Toutes ses pensées volaient sans cesse vers Akio dont elle était sans nouvelles depuis le jour de son départ, des mois plus tôt. Était-il seulement encore en vie ?

L'homme jeta un regard noir à celui qui lui faisait face. Ses cheveux longs et noirs étaient défaits dans son dos, ses traits durs, et ses yeux lançaient des éclairs furieux. Avant toute chose, cependant, cet homme en face de lui était déterminé. Il le devait.

Il ferma les yeux un bref instant, le temps d'une inspiration, puis d'une expiration. Il les rouvrit au moment ou il inspirait et bloqua aussitôt sa respiration comme il agrippait fermement ses cheveux d'une main, brandissant son poignard de l'autre. En une fraction de seconde, sans prendre le temps de réfléchir ni de respirer, il donna un coup net et précis dans sa chevelure. Ses cheveux noirs et huilés tombèrent légèrement autour de lui comme les dernières feuilles de l'automne.

Il jeta un regard à son reflet dans l'eau, à cet homme déterminé aux yeux sombres comme les abysses. Malgré ce qu'il venait de faire, sa résolution n'avait pas flanché. L'image renvoyée par l'eau était toujours identique ; seuls ses cheveux ne flottaient plus dans le vent froid qui annonçait la venue de l'hiver. Il lui faudrait un peu d'aide pour couper le reste de façon plus régulière, mais il tenait à faire ce geste symbolique. Après tout, en tant que Fils du Ciel, jamais ses cheveux n'avaient été coupés. Ils n'auraient jamais dû être coupés.

Akio enterra les longs cheveux dont il venait de se débarrasser, ramassa sa dague et rejoignit le camp de fortune où le reste de son cortège s'était réuni. Peu d'hommes l'accompagnaient, à peine une dizaine. Sa mission requérait de la discrétion, non pas de la force.

Cela faisait plus d'un mois qu'ils étaient en terre ennemie, mais ils progressaient lentement. Les gens de ce pays ne leur ressemblaient pas et leur petit groupe attirait trop l'attention. Ils se faisaient passer pour des marchands, mais ils prenaient parfois de larges détours pour éviter les patrouilles. Ils avaient troqué leurs vêtements pour des habits ecthrosiens, leurs armes pour celles de leur ennemi, leurs marchandises drakkoniennes pour des biens d'Ecthros. Leur infiltration et leur adaptation avaient été longues et difficiles, et rien n'était encore certain. Ils avaient repoussé jusqu'au dernier moment l'instant fatidique où ces fiers guerriers devraient couper leurs cheveux, objet symbolique de leur puissance et de leur force. Mais ils n'avaient plus le choix. La capitale n'était plus très loin. Ils y seraient à la prochaine lune, la première de l'hiver, celle où la fille de Khoomei était censée quitter le château royal de son père pour aller épouser le dirigeant de l'empire ennemi. Peut-être même était-elle déjà en route.