Drakkon - I - Le masque du dragon

59 - L'embrasement (1/2)

Yu se mit à trembler violemment et sentit ses jambes vaciller. Heureusement, Akio eut la force de la soutenir. Elle avait le souffle court, la tête qui bourdonnait, des fourmis dans les mains et les pieds. Elle était blême comme la mort.

Tandis qu'elle lisait la lettre que ShunYuan avait adressée à Mio et qui ne lui était jamais parvenue, une sorte de lien s'était créé entre elle et l'empereur disparu des siècles plus tôt. Elle avait l'impression d'avoir été avec lui tout le long de cette soirée où il avait tenté, en vain, de lutter contre un danger qu'il n'imaginait pas. Elle avait senti la lame s'enfoncer dans son propre cœur, comme lors de son cauchemar. D'ailleurs, elle le comprenait à présent, ce n'était pas un cauchemar : c'était une réminiscence du souvenir... de son ancêtre. Car les héritiers du dragon avaient survécu, Yu en était la preuve vivante. Le seigneur de l'Est était parvenu à protéger Mio. C'était donc pour cela que les seigneurs de QiAng posaient tant de problèmes aux empereurs depuis l'assassinat de ShunYuan : parce qu'ils savaient que leur empereur avait été assassiné et que les empereurs actuels n'étaient que des imposteurs. Des imposteurs issus de la lignée de Keizô l'Ancien, le traître, l'ancêtre de Keishi et Akio.

La pièce se mit à tourner autour de Yu. Tout ce qu'elle avait appris et vécu depuis sa rencontre avec Akio prenait une tournure surréaliste.

Rassemblant son courage et serrant la lettre contre son cœur, elle fit face au prince déchu.

— ShunYuan n'a pas été assassiné par des rebelles mais par son plus fidèle général, Keizô l'Ancien, commença-t-elle.

Le jeune homme fronça aussitôt les sourcils. Keizô était le nom de son père, après tout. Héritage d'un illustre ancêtre qui n'était en réalité rien de plus que le plus grand usurpateur et manipulateur de l'histoire de Drakkon. L'architecte de la plus grande traîtrise connue contre le Dragon Céleste lui-même.

Les yeux de la jeune femme s'embuèrent.

— Je suis désolée, Akio, mais votre dynastie n'a toujours été qu'une mascarade. Tu n'es pas plus Fils du Ciel que Senlinn. Ton ancêtre, Keizô l'Ancien, a orchestré l'assassinat de l'empereur ShunYuan pour usurper son trône en y installant son fils.

Le jeune homme lui retourna un regard incrédule. Il ne connaissait pas ce « Keizô l'Ancien ». La dynastie de sa famille semblait avoir commencé avec l'empereur Keizô le Jeune, des siècles auparavant. Ce que Yu racontait n'avait aucun sens.

Faisant fi du tourment et de la tempête qui se déchaînait dans son esprit et qu'elle commençait à entrevoir dans son regard, la jeune impératrice poursuivit, intarissable. Le mensonge était trop grand, la vérité trop édifiante. Elle ne pouvait pas garder cela pour elle seule. Pas plus qu'elle ne pouvait se contenter de lui faire lire le parchemin. Elle avait rendu les derniers souvenirs de ShunYuan vivaces, apportant un complément d'information qui changeait toute la compréhension de la lettre. Akio ne pouvait pas voir cela de ses propres yeux, parce qu'il n'était pas un Fils du Ciel. Il avait besoin d'elle pour comprendre.

Elle reprit :

— Il pensait avoir exterminé tous les enfants de l'empereur pour détruire définitivement la lignée du dragon, mais il ignorait l'existence de la princesse Mio, envoyée alors dans la province de QiAng pour des raisons de santé. Le seigneur de l'Est l'a protégée, apprenant ainsi la traîtrise de Keizô. C'est pour cela que tu t'es battu contre le seigneur Satomi peu de temps avant notre rencontre. Les seigneurs de l'Est, même avec le temps, sont restés fidèles à ShunYuan et la lignée du dragon. C'est dans l'Est que ma famille a survécu toutes ces années...

Akio demeura muet, les lèvres entrouvertes de stupéfaction. Yu, aussi désorientée que lui, lui tendit le parchemin pour qu'il puisse le lire à son tour. Ne sachant pas à quoi se raccrocher tandis que toute son identité et son existence volaient en éclats, le prince s'en saisit et commença avidement sa lecture.