Épilogue - L'ascendant

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La nostalgie qui avait saisi Yu devint si vivace qu'elle se sentit soudainement écrasée par le poids de ce qu'elle était : ses ancêtres, son passé, son identité. Certes elle savait que sa lignée avait survécu depuis la princesse Mio, sinon elle n'aurait jamais vu le jour, mais cinq siècles de silence et de mystère la séparaient de sa seule famille connue. Il devait bien y avoir quelqu'un capable de combler ce vide, quelqu'un qui savait comment sa famille avait perduré dans le temps, qui pouvait expliquer d'où elle venait et lui dire qui étaient ses parents.

Or, il existait bel et bien quelqu'un. Une personne qui avait été sur le point de tout lui dire avant qu'elle ne l'interrompe avec ses discours de guerre et ses arguments larmoyants. Car elle était parvenue à convaincre le seigneur Satomi de faire route pour défendre TianLong et l'empereur – il avait lui-même organisé la réunification de l'armée Drakkonienne avec les autres seigneurs, pour arriver en force et écraser leur ennemi. La guerre était finie à présent, il était temps qu'elle sache. Avant que Keishi ne retourne siéger sur son trône, avant que leur enfant ne vienne au monde, avant que Satomi lui-même, par un malheureux coup du sort, ne soit tué avant d'avoir parlé.

Résolue, la jeune femme chargea deux domestiques de trouver le seigneur de l'Est, le conviant à retrouver l'impératrice dans le Pavillon d'Or dès que possible. Elle dût patienter un peu, car les généraux et grands seigneurs de Drakkon avaient encore fort à faire face à la débâcle ecthrosienne. Certains avaient déjà enfourché leur monture pour filer au royaume ennemi afin d'écraser toute tentative de représailles dans l'œuf. D'autres coordonnaient la purge et le nettoyage de la cité, le secours des populations et la remise en état des bâtiments, sous les ordres d'Akio. Mais le vieux guerrier, que Yu avait rapidement appris à aimer un peu comme un père, se présenta au Pavillon d'Or comme elle le souhaitait. Il était couvert de poussière et de sang, légèrement essoufflé, à peine blessé, et son œil pétillait encore de malice et d'intelligence.

Yu fut soulagée de constater qu'il allait bien, et le fit entrer sans attendre dans la vaste pièce attenante à la chambre à coucher où Keishi recevait généralement certains dignitaires et hauts gradés, lorsqu'il ne souhaitait pas que les oreilles indiscrètes surprennent des conversations qu'il préférait garder secrètes ou tout simplement privées. Les serviteurs avaient disposé la table basse près de la fenêtre, néanmoins cette dernière était fermée par un panneau de papier, diffusant en demi-teinte les premières lueurs du jour.

Aucun des deux ne parla jusqu'à ce que les domestiques, après leur avoir servi du thé, se soient retirés du pavillon impérial.

— Comment ça se passe, dehors ? s'enquit poliment la jeune femme pour amorcer la conversation.

Satomi pencha légèrement la tête en avant et l'observa par en-dessous, les mains en appui sur ses cuisses.

— Sans vouloir vous offenser, Votre Majesté, je doute que vous m'ayez fait venir pour savoir cela. Vous n'avez pas à vous embarrasser de futilités avec moi, vous le savez très bien.

— En effet, c'est seulement que je ne suis... pas encore prête, avoua-t-elle en baissant les yeux sur son thé.

— Alors parlez-moi de... l'empereur. Comment va-t-il ?

Yu lui sourit avec reconnaissance, cependant elle ne put masquer son inquiétude. Le vieux seigneur le devina tout de suite.

— Je ne sais pas... Il semblait si soulagé de mon retour qu'il ne réagissait pas vraiment à la douleur. Le médecin dit qu'il lui faut du repos. Nous en saurons plus dans les jours à venir, je suppose.

À la fragilité de sa voix et son teint pâle, Satomi réalisa qu'en dépit du mariage arrangé contre sa volonté, elle s'était réellement attachée à Keishi. Il aurait voulu l'en blâmer, car cet empereur était un usurpateur, une sorte de dictateur sanguinaire, et un homme qui méprisait le bien-être des autres. Mais si elle lui avait finalement donné son affection, cela signifiait qu'elle avait vu en lui quelque chose qui était digne de son amour. Et cela, il pouvait le lui pardonner.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant