47 - Peine capitale (1/2)

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Le moral de Yu était au plus bas. L'hiver était là, saupoudrant de blanc les toits du palais et ses jardins. La lumière du soleil était froide comme s'il se mourrait, et cédait peu à peu le pas à sa compagne nocturne, la lune. Mais la jeune femme ne trouvait plus aucun réconfort à la regarder de sa fenêtre. Non contente d'avoir perdu Akio, depuis la nuit passée avec Keishi sans qu'il n'ait demandé après elle, il semblait prendre soin de l'éviter à tout prix, lui brisant le cœur.

La jeune impératrice ne trouvait plus aucun réconfort. Ni dans la présence de Senlinn, ni dans celles de ses dames de compagnie. Même la jeune Chiyo, qu'elle affectionnait beaucoup, ne parvenait plus à la faire sourire. Elle restait assise dans un coin, à fixer le vide pendant des heures. Elle n'écrivait plus à Tôgo, pas plus qu'elle ne jouait de l'erhu. Ses dames désespéraient de lui remonter le moral.

Finalement, un matin, comme Senlinn la pressait d'aller se dégourdir les jambes dans le jardin enneigé, Yu partit plutôt s'enfermer dans sa chambre et, incapable d'y résister, poussa une fois de plus la porte dérobée sans y avoir été invitée. Elle savait que Keishi pouvait verrouiller la porte si l'envie lui prenait de lui en interdire l'accès, mais une fois de plus, la porte était ouverte. Il lui avait bien dit qu'elle pouvait agencer la décoration de la pièce à son goût, non ?

Cependant, ce n'était pas pour la décoration que Yu venait de pousser la porte de la chambre de son mari. C'était par mélancolie et tristesse. Elle savait qu'elle ne verrait pas Keishi en ces lieux, encore moins dans la journée, mais la pièce commençait à lui être familière et lui rappelait de bons souvenirs, à présent. C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé de se rapprocher des deux Fils du Ciel.

Encombrées par ses robes indigo brodées de flocons de neige argentés et de bambous, Yu se déplaça à petits pas dans la pièce, dans un silence presque total. Les lampes et lanternes étaient éteintes, les fenêtres encore grandes ouvertes pour aérer la pièce. Un vent froid soufflait une brise mordante. La jeune femme commença donc par les fermer sans se formaliser du fait que ce n'était pas à elle d'effectuer cette tâche. Après quoi elle flâna dans la pièce, sans but, effleurant des objets, son esprit envolé bien loin de son corps.

Pourquoi Keishi avait-il brusquement pris ses distances avec elle, sans prévenir ?

Soudain, ses yeux se posèrent sur un coffret de bois laqué. Il était noir comme les cheveux des drakkoniens, et le sceau impérial – un dragon lové sur lui-même – était apposé à la feuille d'or sur le couvercle. C'était l'une des boîtes à missives utilisées par les messagers pour communiquer avec l'empereur. D'ordinaire, Keishi ne gardait pas ces boîtes, ni même les messages, et encore moins dans son propre pavillon.

Yu fut prise d'un mauvais pressentiment en s'emparant de la boîte. Pour qu'un objet aussi inhabituel se trouvât là, l'empereur devait avoir des choses à cacher. Se pouvait-il qu'il s'agisse de missives envoyées par Akio, ou des nouvelles informant l'empereur de sa mort ? Keishi voulait peut-être qu'elle ne l'apprenne pas.

Bien que se sachant en tort, la jeune femme ouvrit la boîte d'une main tremblante, et s'empara de l'unique missive qu'elle contenait. Le soulagement et la déception se mêlèrent lorsqu'elle identifia le sceau apposé à la cire rouge sur le document. Il était brisé, signe évident que la lettre avait été lue, mais représentait un pinceau ; le sceau du Maître des Mots.

Curieuse de savoir ce que maître Ryosuke avait bien pu communiquer à Keishi de si confidentiel, Yu se pencha sur le document. Par chance, elle avait été élevée avec les moines qui lui avaient appris à lire et à écrire. Si elle avait dû compter sur Senlinn, elle aurait malheureusement fait chou blanc, son amie n'étant qu'une esclave et n'ayant pas reçu d'éducation.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant