54 - Les parchemins de Dang'An

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Yu s'étira de toute sa taille avec un grand sourire. En ce beau matin d'hiver, elle se sentait sereine et en pleine forme. Il ne faisait pas encore jour, mais le monastère de ZhiLan se réveillait déjà, et les moines ne tarderaient pas à s'activer dans la cour et en cuisine pour préparer le repas du matin.

Soudain, elle se redressa dans son lit avec un hoquet de stupeur, se rappelant qu'elle n'était plus la « Dame de ZhiLan » mais la Kōgō Kōmyō. Elle était passée du statut de créature maudite à celui d'impératrice en quelques mois, et sa situation avait elle aussi grandement évolué : de jeune fille ignorée et inconnue elle était devenue la personne la plus traquée de l'empire.

À cette pensée, qui venait troubler la sérénité d'un sommeil bienfaisant et réparateur, l'estomac de Yu se contracta avec une violence inouïe, lui laissant tout juste le temps de se pencher au-dessus du pot de chambre pour vomir une bile acide qui lui brûla la trachée. Les larmes aux yeux, la main sur la bouche et le corps douloureux, elle se hâta de gagner les sources chaudes avant que les moniales n'apparaissent à leur tour pour les ablutions du matin.

Passablement en meilleur forme, la jeune femme quitta les bains juste avant l'arrivée des femmes parmi lesquelles elle avait vécu toute sa vie, et se hâta de traverser la cour pour rejoindre la réserve et ses compagnons de voyage. Rien n'avait bougé dans sa chambrette de petite fille, aussi avait-elle retrouvé, parmi ses maigres possessions laissées derrière elle, son deuxième masque de bois. Par convenance, elle l'avait à nouveau enfilé, non sans un certain soulagement.

Lorsqu'elle se glissa dans la modeste réserve, une délicieuse odeur de riz chaud et parfumé l'accueillit et son estomac se mit à gronder d'une voix forte. Tous les regards se tournèrent aussitôt vers elle. Les trois domestiques étaient assis en rond à même le sol autour d'un large bol de riz fumant dont il ne restait plus que quelques grains, tandis qu'Akio était appuyé contre un très vieux fût d'alcool de riz sur lequel Yu se souvenait avoir joué dans son enfance. Enfin, elle remarqua la présence de Tôgo, debout à côté de la porte, les mains dans son kesa et le visage souriant de bienveillance.

— Bonjour, petite fleur.

— Bhikkhu ! le salua-t-elle avec ravissement.

N'eut été ses compagnons, elle se serait crue au temps béni de son enfance.

Le vieux moine lui tendit un bol de terre cuite contenant ce qu'il restait de riz. Elle s'en empara et commença à grignoter tandis que les autres finissaient leur repas frugal.

— Bien, il est temps pour moi de vous faire part d'une information capitale, et il sera alors temps pour vous de partir, leur annonça calmement le doyen.

Sans un mot, les trois domestiques se levèrent pour quitter la pièce et respecter l'intimité de leurs maîtres, cependant Akio n'hésita pas une seule seconde à les retenir :

— Attendez. Que vous le vouliez ou non, dorénavant vous êtes impliqués. Nous ignorons ce que les dieux ont prévus pour chacun de nous, mais je ne doute pas que nos destins soient liés d'une façon ou d'une autre. L'information de bhikkhu Tôgo vous affectera quoi qu'il arrive.

Il se tourna ensuite vers Yu pour avoir son accord et elle le lui donna d'un hochement de tête, avant d'avaler une bouchée de riz qu'elle mangeait sans honte avec les doigts, comme les moines et les domestiques.

Comprenant qu'il pouvait parler, le vénérable aîné du monastère se rapprocha d'eux pour baisser la voix, de sorte qu'ils fussent les seuls à entendre ce qu'il avait à leur dire :

— Voilà quelques années que j'effectue des recherches sur la malédiction de HuaYu.

Cette nouvelle choqua la jeune femme tout autant que de l'entendre prononcer son nom en entier – elle ne l'avait plus entendu depuis tellement longtemps qu'elle l'avait pratiquement oublié.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant