Drakkon - I - Le masque du dragon

62 - Les seigneurs de l'Est (2/2)

La jeune femme se laissa donc guider à travers le château, jusqu'à une vaste salle où on la fit entrer cérémonieusement. Tout au fond, assis sur un siège installé sur une estrade, se tenait un homme qui devait avoir la cinquantaine. Et le long des murs, des rangées de ceux qui devaient être des courtisans locaux se massaient pour assister à l'entrevue.

Yu sentit son angoisse monter en flèche. Elle avait toujours eu peur de la Cour Impériale, au palais. Ici, elle n'était guère plus rassurée. Ces courtisans lui faisaient tous l'effet de serpents et d'araignées prêt à bondir et à mordre, cracher leur venin et répandre les pires rumeurs – fausses la plupart du temps – pourvu qu'ils puissent s'attirer les faveurs de leur seigneur.

Soudain, des soldats firent signe aux personnes présentes dans la salle de sortir, de même que les quelques domestiques. Sous ses yeux ébahis, la jeune femme vit la pièce se vider de tous ses occupants, à l'exception de l'homme au fond, et de quatre gardes aux quatre coins de la pièce, et de leur guide lieutenant. Puis, lorsqu'ils furent seuls, le cavalier s'agenouilla brièvement pour saluer son seigneur et s'écarta pour laisser le passage à la jeune impératrice qui, surprise, vit le quinquagénaire se lever souplement et venir à sa rencontre. Sans plus de cérémonie, il se prosterna devant elle, aussitôt imité par les autres soldats présents.

Elle ne prononça pas un mot, médusée, dans le silence calfeutré de la pièce. À croire que la neige qui tombait au-dehors assourdissait aussi ce qui se passait à l'intérieur. Le colosse agenouillé à ses pieds se chargea à sa place de briser la glace dans laquelle elle s'était figée.

— Seigneuresse de Dix Mille Ans, vous êtes ici chez vous.

Yu eut une brusque montée de bile, et du faire appel à tout son courage et sa maîtrise pour ne pas vomir aux pieds de l'homme qui l'accueillait. Il ignorait qu'elle était impératrice, mais il la traitait déjà comme telle car elle l'était légitimement à ses yeux, qu'elle soit ou paysanne.

L'homme, toujours prosterné, ne put voir son profond malaise. Il poursuivit donc :

— Je me nomme Satomi, seigneur de la province orientale de Drakkon, QiAng. Et voici mes fils. Nous sommes à votre service.

Dans l'esprit de Yu, l'angoisse laissa place à la stupeur. À nouveau, elle se figea. Ses fils ? Elle se souvenait pourtant que, lorsqu'ils cheminaient vers TianLong pour la première fois ensemble, Akio lui avait parlé de la rébellion du seigneur Satomi qu'il venait de mater dans l'Est. Le prince avait bien dit que le vassal dissident n'avait pas de fils, ni de fille, sans quoi Akio les aurait ramenés avec lui à TianLong pour garantir l'obéissance du seigneur.

Ce fut plus fort qu'elle, la curiosité de la jeune femme l'emporta.

— Vos fils ? répéta-t-elle d'une voix qu'elle voulut assurée. Tout le monde sait que le seigneur Satomi n'a pas de descendants.

Combien de secrets encore ce seigneur avait-il dissimulé à la famille impériale ? Combien encore de mystères les seigneurs de l'Est avaient-ils entretenu à travers les siècles ? Pourquoi ? Pour protéger le sang du dragon, ou pour leurs propres intrigues ?

Sans en avoir reçu l'ordre, le seigneur Satomi se redressa de toute sa hauteur. Sans la fixer dans les yeux, il lui fit pourtant face avec prestance et dignité. Cet homme était aussi imposant qu'une montagne, la dépassait de deux bonnes têtes, et malgré un début d'embonpoint, paraissait aussi agile et vivace que "ses fils". Il semblait impossible qu'Akio ait pu mater aussi facilement un homme tel que lui, qui aurait dû ne faire qu'une bouchée du prince.

Malgré cela, Yu ressentit une certaine confiance s'installer avec le seigneur Satomi. Peut-être parce qu'elle savait que son ancêtre avait protégé la princesse Mio, cinq cents ans auparavant, et que le seigneur venait de lui prouver qu'il y avait bien des choses que le palais ignorait sur les seigneurs de cette province éloignée.