Un instant, le doute s'insinua dans le regard de la jeune femme. Akio avait-il finalement parlé à l'empereur de leurs intentions de mariage ? Avait-il profité du chemin du retour de la frontière pour aborder le sujet avec la seule personne qui pouvait encore s'opposer à leur union ? Rien n'était moins certain. S'il l'avait fait, le prince lui en aurait parlé. Yu prit donc la décision de considérer qu'il n'était pas au courant.
— En effet, j'aime le prince Akio, confirma-t-elle en relevant légèrement le menton pour se donner une consistance.
Néanmoins, soucieuse de ne pas commettre une erreur, et consciente qu'elle marchait sur des œufs, elle se retint d'ajouter quoi que ce soit d'autre.
Son affection pour le frère cadet de l'empereur n'était un secret pour personne. Plus depuis longtemps, et encore moins depuis leur retour, comme l'avait fait remarquer Senlinn. Yu ne doutait pas que les courtisans et courtisanes étaient déjà en train de répandre la rumeur dans chaque couloir du Palais du Dragon. Peut-être même était-ce par ces racontars que Keishi en avait finalement eu vent.
Ils n'avaient jamais abordé le sujet, mais à présent, tous deux avaient conscience que c'était inévitable.
La maîtresse du Pavillon de la Lune guetta silencieusement la réaction de l'empereur, mais il s'était emmuré dans un profond mutisme, les yeux dans le vague.
— Tu l'aimes, articula-t-il enfin en s'extirpant de ses pensées, et dardant sur elle son regard dur et froid. Tu l'aimes. Pourquoi ? Pourquoi lui ?
La question prit la jeune femme de court. Il lui fallut un moment pour rassembler les évidences qui, discrètes tout d'abord, s'étaient épanouies avec elle depuis son arrivée au palais.
— C'est difficile à expliquer... Tout d'abord, il a été le premier à voir mon visage et mes yeux, et à ne pas croire à ma malédiction, commença-t-elle avec hésitation. Il a été le premier, en dehors des moines et des moniales de ZhiLan, à me témoigner de l'intérêt et à vouloir prendre soin de moi. Le reste ne s'explique pas vraiment.
— Tss ! gronda Keishi en détournant les yeux, agacé. Le mariage et l'amour existent pour les gens faibles qui ne peuvent pas se suffire à eux-mêmes, et qui ont besoin de vivre au dépens d'un autre.
Cette remarque piqua Yu à vif, se sentant directement concernée, quand bien même elle se doutait que l'empereur considérait certainement son propre mariage à venir.
— C'est faux, vous vous trompez. Ce n'est peut-être pas le cas de tout le monde, mais un mariage est la concrétisation de sentiments qu'éprouvent deux individus l'un pour l'autre. C'est la volonté d'exprimer leur amour au regard bienveillant des dieux, et regarder vers l'avenir ensemble. C'est s'offrir sans conditions.
Keishi ricana, décidément d'une humeur exécrable.
— « C'est s'offrir sans conditions ». Encore quelque chose d'artistique, je présume, parce que ce concept m'est totalement étranger. Pourquoi ne pas prendre, tout simplement ? À quoi bon donner ?
— Parce qu'à force de prendre, il ne reste plus rien, fit remarquer Yu d'une voix plus dure qu'elle ne l'avait voulu. Ce n'est pas de cette façon que l'on atteint le bonheur. Il faut aussi savoir donner.
L'empereur lui jeta un regard noir, et la jeune femme se demanda comment ils en étaient venus à parler d'un sujet aussi sensible alors qu'ils auraient dû discuter des arts que Keishi détestait tant.
— Es-tu heureuse, Yu ? demanda-t-il d'une voix neutre en la regardant.
Ne pas pouvoir interpréter son état d'esprit était encore plus dangereux que de faire face à sa colère.
![](https://img.wattpad.com/cover/192851681-288-k163182.jpg)
VOUS LISEZ
Drakkon - I - Le masque du dragon
Siêu nhiênYu est maudite. Abandonnée le jour de sa naissance, elle a grandit au monastère de ZhiLan pour expier une faute dans une vie antérieure dont elle n'a pas le souvenir. Au sein de l'empire de Drakkon où les habitants ont tous les yeux noirs en amande...