27 - GuoLiang (1/2)

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Le voyage vers le nord-est avait été long et chaotique, rythmé par quelques attaques de brigands déjouées sans difficulté par l'armée de soldats qui les accompagnait. Senlinn était toujours convalescente et ne cessait de se plaindre, mais il était indéniable qu'elle allait mieux. Le médecin lui avait dit de recommencer à marcher et elle essayait de faire quelques pas à chaque fois que le convoi s'arrêtait.

Yu n'avait pas vu Keishi depuis leur départ, les femmes campant à l'écart des hommes sous la protection rapprochée de gardes zélés. En revanche, elle avait pu échanger quelques mots avec Akio à trois reprises, ce qui était bien trop peu à son goût, elle qui était habituée à partager de longues conversations avec lui, le soir.

Quant aux dames de la Cour, elle avait bien été obligée de se mêler à elles et d'apprendre à les connaître. Son palanquin voyageait avec ceux des autres dames et elles se réunissaient toujours entre elles, le soir, murmurant des ragots et gloussant derrière leurs éventails. C'était un univers à part, étrange, dans lequel Yu était bien obligée d'entrer. Elle prenait cela comme un entrainement pour sa future vie de princesse au côté d'Akio.

Il leur avait fallu si longtemps pour atteindre les confins septentrionaux de l'empire, que Yu n'en pouvait plus de ce voyage interminable. À tel point qu'elle avait remis son choix en question au moins une dizaine de fois par jour. Mais après une vingtaine de jours, ils étaient enfin arrivés dans la cité-forteresse de GuoLiang.

La forteresse était le plus important bastion frontalier de l'empire en raison des nombreux siècles de guerre qui avaient opposé Drakkon à Ecthros ces dernières générations. On n'y comptait pas moins de huit cents hommes à l'année. Aussi la cité était-elle parmi les plus autonomes de l'empire : de son puits d'eau à ses petites cultures, en passant par ses bâtiments de pierres et sa grande muraille, elle pouvait tenir un siège de plusieurs mois. Elle était même aménagée pour accueillir des renforts importants grâce à des casernes militaires vides la plupart du temps.

Pour l'occasion, GuoLiang, garnison militaire, avait été radicalement transformée. L'empereur et sa Cour avaient investi les lieux comme s'ils se trouvaient au palais, et tous les soldats qui les accompagnaient et ceux qui vivaient ordinairement dans la forteresse, avaient élu domicile dans des dortoirs de taille conséquente dans les casernes.

Yu avait du mal à prendre ses repères dans cet environnement inconnu. Elle était heureuse de retrouver les montagnes, mais elles n'avaient rien à voir avec celles de ZhiLan. Celles-ci, bien moins nombreuses et moins hautes, ne formaient pas de massif montagneux. Elles n'étaient rien de plus que les restes d'une chaîne de montagnes éloignées, presque solitaires, délimitant la frontière entre deux territoires en guerre.

Perchée sur les hauteurs de l'une de ces montagnes, la forteresse de GuoLiang bénéficiait d'une vue imprenable sur les plaines nord de Drakkon, et sur les étendues désertiques d'Ecthros.

Yu ne cessait de fouiller l'horizon du regard, impressionnée.

— Bhikkhu Tôgo m'avait dit que le monde était vaste, mais je ne pensais pas qu'il l'était à ce point, murmura-t-elle. Tu vivais ici, sur cette terre ?

Senlinn, à ses côtés, observait les étendues de sa terre natale en silence. Cela lui rappelait beaucoup de souvenirs, des bons comme des mauvais. Elle se souvenait de l'aridité de la terre à cet endroit et de la difficulté pour trouver de la nourriture, en particulier en été et pendant l'hiver. Elle se souvenait encore de certains jours d'enfance particulièrement éprouvant où, ne trouvant rien à manger, elle et les siens avaient passé la journée le ventre vide. Parfois, seulement quand la chance leur souriait, ils parvenaient à cultiver la terre et à obtenir suffisamment de nourriture pour en conserver en prévision de jours de disette.

Drakkon - I - Le masque du dragonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant