Chapitre 29 ; 2/2 :

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Ce jour-là, le Soleil semblait mettre un point d'honneur à être au rendez-vous. Il dardait de faibles rayons les hauts immeubles de Natilma et illuminait le ciel. L'été s'était effiloché à toute vitesse et touchait bientôt à sa fin. Par conséquent, il faisait de moins en moins chaud et cela fit du bien à tous les Sortilistes.

À la sortie des cours, un homme s'approcha à grandes enjambées du groupe d'amis. Il paraissait si grand qu'il semblait frôler le ciel azur. Il possédait une chevelure aussi sombre qu'une nuit d'hiver terriblement bien coiffée ainsi que de grands yeux perçants. Les discussions s'estompèrent et l'homme se présenta :

– B... Bonjour, hésita-t-il. Je m'appelle Fred Wills. Tu... Tu es bien Playi n'est-ce pas ?

Ses yeux sombres s'étaient posés avec douceur et émotion sur la jeune Pyrokinésiste, ignorant les autres. L'intéressée acquiesça en déglutissant. Elle accepta de le suivre et ils marchèrent ensemble dans les rues de Natilma. Après quelques minutes passées dans le silence, l'homme se décida enfin à parler :

– Veux-tu connaître ton histoire Playi ? Veux-tu savoir ce qui s'est passé ? Je suppose que tu as des tonnes de questions auxquelles tu n'as jamais eu de réponse. J'aimerais beaucoup être en mesure d'effacer tes doutes, si tu acceptes de m'écouter.

Une sensation étrange enveloppa l'adolescente. En effet, elle s'était toujours demandé les raisons de son adoption, et la porte était grande ouverte, droit devant elle. Mais serait-elle capable de tenir le coup ? Elle n'avait aucune idée de qu'elles pourraient être les révélations à venir. Tout ce qui avait égrainé sa vie allait lui imploser au visage, comme ça, d'un coup. En une seule conversation.

Cependant, sa curiosité et son besoin de connaître son passé cadenassèrent ses doutes. D'une toute petite voix, elle murmura :

– Vas-y.

Fred ne se fit pas prier. Il prit une longue inspiration, signe que les aveux prendraient un certain temps.

– Ma famille vient d'Inde, commença-t-il d'une voix douce. Un jour, j'ai rencontré une magnifique jeune femme de mon pays. Nous sommes immédiatement tombés amoureux l'un de l'autre et nous ne voulions plus nous quitter. Par amour, elle m'a donc fait découvrir cet endroit, Psöryos, puis une Développaliste a achevé ma transformation en Éolikinésiste. Notre vie demeurait parfaite et sa famille m'accueillit avec la plus grande des joies. J'ai donc rencontré ses parents ainsi que sa sœur cadette, Kira. D'ailleurs, tous les trois, nous sommes entrés en Connexion. Osis – ta mère – était Pyrokinésiste et sa sœur Hydrokinésiste. Nous étions très proches tous les trois et j'étais l'homme le plus heureux des deux mondes. Tu sais ce qu'est la Connexion ?

La jeune fille opina de la tête, suspendue à ses lèvres. L'homme poursuivit :

– Un beau jour, elle m'a appris qu'elle était enceinte, pour notre plus grand bonheur. J'ai veillé sur elle. Sa grossesse semblait normale ; elle se trouvait en parfaite santé. Puis tu es née, notre plus grande fierté. Hélas, quelques jours plus tard, la vie d'Osis s'estompa. En tant que médecin, j'ai fait tout mon possible dans le seul but de la ramener, tentant parfois des choses insensées comme par exemple essayer de lui faire ingurgiter des bulles d'air. Malheureusement, rien n'y fit, et l'âme de ta mère s'échappa.

Playi ne put retenir une larme, bien plus triste qu'elle ne l'aurait cru au premier abord. Cette femme qu'elle n'avait vue qu'à sa naissance était celle qui l'avait portée neuf mois dans son ventre, et elle ne la rencontrerait jamais. Elle était morte, comme Rose. Elle avait beau avoir arpenté dans sa vie deux univers différents, sa mère était morte dans les deux cas.

L'homme, ce géniteur plus que ce père, hésita, puis passa un bras timide autour des épaules de sa fille.

– Ma souffrance fut longue et atroce. Puis, après de nombreux jours à pleurer, seul, je me résolus à te laisser sur Terre. Là où, je l'espérais, tu pourrais rencontrer une famille aimante. Durant tes premières semaines, ton regard me saisissait comme pour me demander « Papa, où est Maman ? ». Le mal transperçait mon cœur comme une longue épée, s'enfonçant petit à petit, le plus lentement possible, histoire que je me torde de douleur sur le sol.

L'adolescente étouffa un sanglot au moment où Fred Wills s'apprêtait à évoquer l'un des moments les plus compliqué de l'histoire : la séparation.

– Un matin, je décidai de te laisser dans un pays. N'importe lequel, je ne voulais plus savoir, je ne voulais pas non plus être rongé par les remords. Si bien que je ne sais même pas où tu as été élevée durant toutes ces années. Kira est venue me rendre visite souvent, m'empêchant ainsi de mourir assailli sous les – trop nombreux – regrets. Nous avions tous les deux perdu une personne si chère à nos yeux ainsi que notre Partenaire commune. Avec le temps, nous apprîmes à nous connaître. Puis, elle me demanda en mariage. Elle sait qu'elle ne remplacera jamais Osis, mais la peine nous avait rapprochés au point de nous lier et ses sentiments étaient devenus réciproques. Leurs parents firent le deuil et m'accueillirent à bras ouverts pour la deuxième fois au sein de la famille. Par la suite, Kira m'a offert trois enfants. Lilu, l'aînée, a sept ans. Ensuite vient Jimmy qui en a cinq et enfin Katy qui n'a que deux ans. Et tous trois te ressemblent comme deux gouttes d'eau.

Il s'interrompit, guettant la réaction de sa fille, même s'il ne l'avait jamais connue.

– J'aimerais que tu les rencontres, tous les quatre, si tu en as envie bien évidemment. La maison dans laquelle nous habitons a toujours eu cinq chambres. Kira et moi avons toujours voulu te revoir et j'ai guetté chaque nouvelle arrivée de personnes de ton âge. Quand se fut – enfin – ton tour, l'appréhension me nouait l'estomac mais ta tante a insisté. Elle a dit que cela te ferait du bien de connaître la vérité et que le choix resterait tien. Et puis je voulais aussi que tu saches que tu n'as pas été abandonnée ; que nous t'aimerons toujours. Il ne s'est pas écoulé une semaine, une journée, une heure sans que je pense à toi.

Playi était émue mais ne savait pas comment réagir, pas quoi dire.

– Si tu le souhaites, un jour, j'aimerais savoir ce que j'ai manqué dans ta vie. Je suis terriblement désolé pour toutes les erreurs que j'ai commises. Je sais pertinemment que je ne pourrais jamais les effacer, mais si tu es capable de me donner une deuxième chance en tant que père, je serai là. Tu pourras venir vivre avec nous si tu en as envie. Mais je te laisse le temps de réfléchir. Au revoir.

Il déposa un baiser sur le front de sa fille et s'éclipsa timidement, la laissant pantoise.

Un savant mélange de rancœur, de compassion, de tristesse, d'envie, de peur, de colère et d'espoir dansait au creux de son ventre. Cet homme, son père lui avait offert trop de réponses. Du moins trop pour une seule fois. Elle avait besoin de digérer calmement tout ça, d'y réfléchir. Plus tard. Se poser d'abord. Prendre le temps d'assimiler.

Quelque part, dans ce monde, elle avait une famille.  

Octo/ tome 1 • La rencontreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant