IMMORALE (camren)

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Lauren

Le tutorat de Camila : voilà le thème du repas du soir. L'enfant reine est visiblement contrariée qu'on l'oblige à faire comme n'importe quelle étudiante, à savoir obtenir une moyenne supérieure à D. Et pour la soutenir dans ses récriminations, elle peut compter sur son père.

- Clara, chérie, tu vois bien à quel point Camila est déjà occupée ! L'école, l'entraînement des cheerleaders, le premier match de l'année dans trois jours... Je ne suis pas certain que trop la charger soit une bonne stratégie. Est-ce qu'on ne pourrait pas envisager de décaler ces cours de soutien ? Elle pourrait commencer début novembre, une fois la pré-saison terminée, ou après Noël si les Lions sont qualifiés, le rôle des cheerleaders n'est pas à prendre à la légère pour le championnat ? Là, elle aura plus de temps.

- Et elle en aura déjà perdu trop ! C'est sa dernière année, Alej, et je suis désolée de te le dire mais étant donné ses résultats depuis deux ans, il n'y a pas une minute à perdre !

- Mais puisque j'ai déjà été accepté à l'université ! s'emporte Camila en toisant toute la tablée d'un air furieux. Qu'est-ce que ça peut foutre, mes résultats scolaires ?

Je lui jette un regard noir. Qu'elle fasse subir son caractère ingérable à son père ou à moi, passe encore, j'ai pris l'habitude... Mais je ne supporte pas qu'elle s'énerve comme ça sur ma mère ! Après tout, elle veut simplement l'aider. Et puis, ça ne lui ferait peut-être pas de mal de s'intéresser à autre chose qu'aux cheerleaders et au foot. Au monde qui l'entoure, par exemple. Aux gens qui l'aiment. Camila soutient mon regard d'un air provocant, comme si elle savait parfaitement ce que je pense et qu'elle voulait m'écraser de tout son mépris. Mais malgré l'effet que me font ses yeux perçants, je tiens bon, jusqu'à ce qu'elle cède et détourne la tête d'un air gêné. Victoire !

- Pour l'instant, objecte ma mère avec calme, Notre Dame ne t'a fait qu'une proposition orale. Une poignée de main n'a pas valeur d'engagement.

- Pour cette université, si, nuance Alejandro. Ils ont l'œil sur la gamine depuis un moment déjà ! La meilleure meneuse d'équipe de cheerleaders de tout le Texas, qui à menait à un titre de champion d'État. Ils ne vont certainement pas la laisser filer.

- Je l'espère sincèrement, leur répond ma mère. Et je crois aussi en tes talents de danseuse, Camila. Je n'ai d'ailleurs qu'une seule hâte : te voir supporter l'équipe cette saison. Mais dans la vie, on n'est jamais à l'abri d'un changement de direction. Et, quoi qu'il arrive, ce que tu apprends à l'école fera toujours ta richesse...

En entendant ma mère parler comme ça, un frisson de plaisir me parcourt – et pas uniquement parce que ça fait chier Camila. Non. Je suis émue de constater qu'elle prend son nouveau métier tellement à cœur. Du temps où elle enseignait l'histoire dans un lycée du Bronx, il fallait la voir ! Passionnée, engagée, convaincue que le savoir est la plus puissante des armes... C'est elle qui, quand j'étais petite, me lisait des histoires, me parlait des civilisations passées, traitait les livres comme des objets sacrés. C'est elle qui a construit ma vocation. Et je sais que quand elle parle ainsi à Camila, elle est absolument sincère. Elle veut qu'elle reçoive le meilleur de ce qu'elle a à offrir, tout comme elle l'a fait pour moi.

Et cette idiote ne se rend même pas compte de la chance qu'elle a.

- Ce que j'apprends à l'école est censé faire de moi un petit robot savant. Une citoyenne modèle, calibrée pour répéter sans réfléchir ce qu'on lui a inculqué et ne jamais remettre en cause l'ordre établi.

- C'est vrai que tu es une telle rebelle, ne puis-je m'empêcher d'ironiser. C'est tellement subversif d'être miss popularité...

- Quand on voit que les outsiders du bahut portent des mocassins et des lavallières, comme des braves petits banquiers, ça donne plutôt envie d'être dans le camp adverse, rétorque-t-elle.