En thérapie

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— Continuons Lucie. Comment te sens-tu en ce moment ?

Je pique un caramel dans la coupelle en cristal posée sur l'élégante petite table basse en bois et l'engloutis avant de répondre :

— Je dors mal en ce moment. Je n'arrête pas de rêver de Fallen Coast. Et cela déclenche mes migraines.

Comme si le fait de les évoquer pouvait entraîner une crise, je resserre ma main sur la boite en plastique qui ne me quitte jamais.

Mon psy ne dit rien, se contentant de noter quelque chose sur son carnet. Je me suis souvent demandée ce qu'il pouvait bien y écrire. Peut-être sa liste de course.

— Tu continues à prendre tes cachets ?

J'acquiesce vigoureusement. Ces pilules vertes sont la clé de ma survie. Sans elles, je n'aurai jamais pu avoir une scolarité normale, et encore moins une vie à peu près stable. Le seul hic c'est que ces cachets ne sont pas vendus en pharmacie traditionnelle. Attention, il ne s'agit pas de drogue loin de là, seulement d'un mélange de plantes que me fournit une naturopathe. C'est un miracle que cette femme ait fait des consultations dans l'hôpital où je séjournais suite à une énième crise que rien, si ce n'est la morphine, ne parvenait à calmer.

— Tu me dis que tu rêves de la ville de ton enfance. Et il s'y passe quoi ?

Je tapote un coussin au motif ethnique, moyen d'éluder la question mais le docteur Deyno ne s'y laisse pas prendre. En dix ans de thérapie, il me connait par cœur. Je soupire :

— Je revois la maison de mes parents, les ambulanciers tentant de me maîtriser et...

Je m'interromps un instant avant de poursuivre :

— Ma grand-mère fermant la porte sans chercher à venir avec moi.

Il hoche la tête. L'abandon de ma grand-mère m'est très douloureux. Sérieusement, quel parent censé laisserait un membre de sa famille voguer de famille d'accueil en famille d'accueil sans jamais proposer de l'accueillir ou de prendre de ses nouvelles.

— Tu devrais y retourner.

Je fais un bond sur le canapé. Après tout ce temps, pourquoi me propose-t-il aujourd'hui d'y remettre les pieds. Il semble lire mon incompréhension car il explique :

— Aujourd'hui tu n'es plus la petite fille apeurée d'il y a dix ans. Tu es devenue une femme forte, tu maîtrises tes crises, tu as un travail, des collègues et je pense qu'il est temps que tu affrontes ton passé.

— Et si je refuse ?

Il soupire en ôtant ses lunettes, sort un chiffon de sa poche et entreprend de les nettoyer.

— Certaines personnes sont tout à fait capable de tourner le dos à leur passé et avancer dans la vie. Toi, tu fais des cauchemars, ton subconscient sait que tu as encore des interrogations et tu ne seras complètement sereine que lorsque tu auras enfin eu des réponses.

Je demeure silencieuse. A l'idée de retourner là-bas, mon estomac se serre. La sonnerie familière du réveil annonçant la fin de notre séance retentit me sortant de ma torpeur. Je quitte le cabinet de mon thérapeute, et remonte la rue tout en pensant à ses paroles. Moi, retourner à Fallen Coast ? Je ne sais pas si j'en serai capable. J'ai beau me dire que ce n'est pas une bonne idée, me voici tout de même en train de regarder les billets d'avion sur mon téléphone. Les vacances d'été approchant, je pourrais sans doute y faire un saut, confronter ma grand-mère et revenir l'esprit léger. Avant de rentrer chez moi, je m'arrête à la boutique de Rosalie, la naturopathe qui a su soulager mes douleurs. Je pousse la porte activant le carillon de coquillages et pénètre dans le magasin. Des centaines de plantes sont exposées mais je serai incapable de toutes les nommer. En me reconnaissant, Rosalie quitte son comptoir pour venir me serrer dans ses bras.

La Potion OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant